[Réflexion] Le contrat de licence et le JdR

Faut-il signer un contrat de licence utilisateur final (CLUF) avant d'entrer dans le donjon ou d'invoquer Shub-Niggurath ?

Avertissement : la lecture préalable de ce billet puis de ce billet est fortement conseillée pour entrer en douceur dans le sujet (et y comprendre quelque chose si vous n'êtes pas juriste).

Le contrat de licence et le bouquin de JdR

Qu'est-ce qu'un contrat de licence ?

Le contrat de licence, c'est un contrat entre un titulaire des droits patrimoniaux (et parfois moraux) sur une œuvre et un tiers, qui vient fixer les conditions dans lesquelles ce tiers peut bénéficier de droits plus ou moins limités sur cette œuvre.

Le contrat de licence est une matérialisation physique de l'exercice du droit moral de divulgation de l'auteur (qui, seul - ou s'il est mort via ses ayants droit - a le privilège de décider de la manière dont son œuvre peut être divulguée - sachant que confier le soin à un éditeur de distribuer son œuvre est une manière tout à fait valable pour un auteur d'exercer son droit de divulgation).

En téléchargeant légalement un film, le consommateur acquiert une licence qui lui est concédée par l'éditeur du vidéogramme (ou le gestionnaire de la plate-forme). Cette licence prévoit la concession au bénéfice de ce consommateur d'un droit de représentation de l’œuvre. Ce droit de représentation est non-exclusif (il s'agit d'une concession et non d'une cession, de sorte que d'autres consommateurs peuvent en bénéficier), limité dans le temps, l'espace et possiblement à un matériel.

L'exception du cercle de famille lui permet d'excéder les limites théoriques de ce droit de représentation en en faisant bénéficier ses proches et intimes. En revanche, aucun droit de reproduction ni de distribution n'est accordé à ce consommateur : il lui est interdit d'enregistrer le film et d'en redistribuer des copies via son traqueur de torrents préféré.

Pour installer VLC Media Player, l'utilisateur doit accepter le Contrat de Licence Utilisateur Final de ce logiciel. Le CLUF de VLC est un contrat de licence libre, qui a donc pour particularité de conférer des droits très étendus à l'utilisateur, si étendus qu'ils comprennent la totalité des droits patrimoniaux du titulaire : l'utilisateur peut reproduire, représenter (exécuter et faire exécuter le logiciel), modifier, adapter, traduire, et exploiter le logiciel en le distribuant à sa convenance, sous réserve de respecter les quelques contraintes figurant dans son contrat de licence.

Y a-t-il des conditions particulières à un contrat de licence ?

Pour être valable en droit français, une cession non-exclusive de droits patrimoniaux (c'est-à-dire une concession de droits, c'est-à-dire un contrat de licence) doit :

  • être matérialisée par un écrit ;
  • être limitée dans le temps et l'espace ;
  • concerner une œuvre existante (il existe une interdiction de la cession des œuvres futures en droit français, mais nous dépassons ici le champ de ce billet) ;
  • faire l'objet d'une contrepartie (qui peut être l'intention libérale du titulaire des droits, mais qui dans ce cas doit être clairement précisée - cette intention libérale ne peut pas se présumer).

Toutes les configurations de concessions de droits patrimoniaux d'auteurs sont imaginables dans le cadre des contrats de licence.

Ainsi, pour la traduction d'un ouvrage, le traducteur doit se voir concéder le droit patrimonial de traduction. Pour pouvoir reproduire cette traduction, il doit en outre se voir concéder le droit patrimonial de reproduction, qui peut être général ou au contraire précisément limité à la reproduction de la seule traduction, sur un support donné (papier, gravure dans le marbre, etc.).

Cependant, sans droit de distribution, ce concessionnaire des droits patrimoniaux de traduction et reproduction ne pourra rien faire de ces traductions ainsi reproduites.

Peut-il y avoir un contrat de licence sans œuvre ?

Théoriquement, non. En pratique, par abus de langage, certains prestataires de service font souscrire des contrats qualifiés de "contrats de licence" pour fournir certains services qui pour autant, quelle qu'en soit la raison (par exemple un défaut d'originalité), ne peuvent pas être qualifiés d’œuvre ou d'exercice de droits patrimoniaux sur une œuvre. Ce sont en réalité seulement de simples contrats de service.

Dans une certaine mesure, le contrat de licence devient un accessoire de l’œuvre qu'il régit. À mesure que l’œuvre circule de main en main, le contrat de licence l'accompagne et noue de manière systématique la relation contractuelle entre l'auteur et/ou titulaire et le possesseur de l’œuvre, régissant l'exercice des droits patrimoniaux qui sont éventuellement concédés à ce dernier.

La licence du contenu d'un bouquin de JdR

En vertu de l'article L122-2 du Code de la propriété intellectuelle : "Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code :

  • 1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ...
  • 7° Les œuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;
  • 8° Les œuvres graphiques et typographiques ;
  • 9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie ; ...
  • 11° Les illustrations, les cartes géographiques ...".

Les ouvrages de JdR, leurs illustrations, les cartes du monde, sont donc protégeables par le droit d'auteur (et protégés s'ils sont originaux).

L'exercice des droits patrimoniaux sur un ouvrage est réservé au titulaire (habituellement l'éditeur) de ces droits patrimoniaux. C'est lui qui va pouvoir directement ou indirectement reproduire, représenter publiquement, modifier, corriger, adapter, distribuer l'ouvrage.

La plupart du temps, ce titulaire ne place pas l'ouvrage sous une licence particulière, ni d'ailleurs sous aucune licence, car il n'est pas nécessaire pour l'acheteur-lecteur d'exercer des droits patrimoniaux pour pouvoir prendre connaissance du contenu de l'ouvrage.

En effet, prenons le cas d'un lecteur entrant en possession à titre définitif (il l'a acheté ou on lui a donné) ou précaire (il l'a emprunté) de l'ouvrage qui est le support physique de l'œuvre. Disposant désormais de ce support, il prend connaissance de l’œuvre qui s'y trouve en la lisant ou en contemplant ses illustrations. Il n'a aucun besoin de devenir concessionnaire d'un quelconque droit patrimonial. En effet, il n'exerce pas de droit patrimonial de reproduction, car lire l’œuvre ne suppose pas de la reproduire (sinon temporairement, à l'envers, sur la rétine au fond de l’œil... mais bien habile le juriste qui arrivera à plaider ceci). Le lecteur n'a pas besoin d'exercer de droit de représentation, parce qu'il ne divulgue pas l’œuvre au public en la lisant. Il n'a pas plus besoin de modifier, adapter, traduire, ou distribuer l’œuvre.

Il n'est donc pas besoin de licence concédant des droits patrimoniaux pour lire un ouvrage appartenant à une gamme de JdR. Mais est-il besoin des droits patrimoniaux pour le faire jouer ?

Pour présenter à un public une illustration d'un ouvrage de JdR ("– Bon, regarde cette page du bestiaire XLII de Pathfinder, c'est cette créature qui se jette sur toi ! – C'est... Attends, c'est un golem de gélatine colorée ? – Exact ! Un Haribolem ! Jet de réflexes DD 16 pour ne pas t'étouffer avec une fraise Tagada..."), il faut disposer en principe du droit de représentation. Toutefois, l'exception du cercle de famille permettant de s'en passer, les éditeurs n'indiquent habituellement pas de licence concédant ce droit, ni d'autorisation expresse relativement à ces illustrations.

En revanche, les feuilles de personnage sont destinées à être reproduites, même sans divulgation publique. Il faut donc, pour légalement reproduire une feuille de personnage, être capable de l'exercice du droit de reproduction - d'où la mention presque systématique "la photocopie pour un usage strictement personnel est autorisé" en pied de page des feuilles de personnage dans les ouvrages de JdR, qui vient poser les conditions et limites de l'exercice de ce droit de reproduction.

Traditionnellement, auteurs et éditeurs négligent de placer le reste de leur ouvrage sous une licence concédant au possesseur de leur ouvrage des droits patrimoniaux particuliers.

Cependant, certains auteurs ont divulgué leurs ouvrages de JdR sous licence. La mode a commencé avec Donjons & Dragons 3e édition, et ne s'est pas démentie depuis.

Je ne suis pas un numéro, je suis un JdR libre : la licence OGL 1.0a

En 2000, coup de théâtre dans le petit monde du JdR : les règles de la troisième édition de Donjons & Dragons (ci-après "D&D3") sont sous une licence très particulière, la licence OGL (pour Open Gaming License, version 0.1a), inspirée de la licence GNU General Public License (applicable aux logiciels d'ordinateurs).

Cette licence est particulière car il s'agit d'une licence hybride entre une licence propriétaire, qui conserve certaines parties de D&D3 dans le champ du privilège d'exploitation du titulaire des droits (ces parties sont appelées "Product Identity" - "identité du produit" selon la licence), et concède la totalité des droits patrimoniaux au lecteur sur le reste de D&D3 ("Open Content" - "contenu ouvert" selon la licence) sous réserve du respect par celui-ci d'une obligation de réciprocité ("copyleft").

Cette licence permet à tout bénéficiaire des règles de D&D3 de pouvoir réutiliser les "briques" de contenu ouvert, de les modifier, les altérer, les republier, mais sous réserve (c'est l'essence de l'obligation de réciprocité) que les œuvres dérivées de ces briques soient elles-mêmes publiées sous la même licence OGL 1.0a, avec l'affichage explicite du texte de la licence, la conservation des mentions de paternité de la totalité des auteurs et éditeurs dont des travaux relevant du contenu ouvert ont été repris de près ou de loin, ainsi qu'une distinction claire entre ce qui est du contenu ouvert et de l'identité du produit.

Conséquence de cette licence, la plupart des auteurs et éditeurs peuvent exploiter commercialement des contenus pour D&D3, le jeu de rôle le plus populaire, et ainsi bénéficier de cette locomotive commerciale, tout en s'inspirant les uns des autres. Wizards of the Coast, alors éditeurs de D&D3, y gagne en exploitant commercialement non pas les règles mais les marques d20 et Donjons & Dragons (qui permet de faire payer les éditeurs tiers et rend indispensable le fait d'acquérir le Manuel du joueur de D&D3 pour jouer avec les suppléments de ces éditeurs tiers), et en augmentant la pénétration du système de jeu de son produit phare grâce aux autres ouvrages estampillés OGL (mais pas d20).

Le choix d'une telle licence présentant des aspects comparables à ceux des licences libres copyleft en a fait un levier déterminant de pénétration du marché du JdR et d'extension de celui-ci, ce qui, couplé à une puissance marketing considérable, a permis rapidement à Wizards de dominer le marché de niche du JdR, avec un succès fulgurant. La profusion des suppléments de qualité variable pour D&D3 a d'ailleurs fini par saturer le marché (qui s'est effondré ensuite, mais ceci dépasse le sujet de cet article). Pour autant, la licence OGL 1.0a est toujours vivace, puisque la 5e édition de Donjons & Dragons est régie par cette licence.

Selon la licence OGL 1.0a, les droits sur le contenu ouvert ("Open Content") concédés à tout bénéficiaire par la licence OGL 1.0a recouvrent la totalité des droits patrimoniaux pouvant être exercés par le titulaire des droits. Le bénéficiaire peut donc librement, sous réserve de conserver les œuvres dérivées de ce contenu ouvert sous la licence OGL, reproduire, représenter, modifier, corriger, arranger, traduire, et redistribuer le contenu ouvert, modifié ou non, à des tiers.

Comme c'est le cas pour toutes les licences libres, l'autorisation du titulaire original est en réalité une offre générale destinée au public d'entrer dans une relation contractuelle avec lui pour l'usage et la réutilisation de l’œuvre régie par la licence. En acquérant, lisant, réutilisant l'ouvrage sous licence OGL 1.0a et en en respectant les stipulations, tout individu accepte l'offre de contracter matérialisée par la licence. La rencontre entre offre et acceptation forme le contrat, et ce lecteur / réutilisateur devient bénéficiaire de la licence et concessionnaire des droits patrimoniaux dans les conditions qui ont été fixées par le titulaire des droits.

La rencontre des volontés ne requiert aucun nouvel acte positif de confirmation de la part du titulaire : une fois la divulgation faite sous licence OGL 1.0a d'un texte défini comme contenu ouvert (et non identité produit), cette divulgation est en principe irréversible (en droit français, du moins - en droit du copyright US, la notion de licence étant différente, c'est un peu plus complexe), et le titulaire ne peut plus s'opposer aux utilisations et réutilisations qui seraient faites de ce contenu ouvert dès lors qu'elles sont respectueuses de la licence OGL 1.0a et des droits moraux des auteurs.

C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la publication d'un ouvrage de JdR sous un contrat de licence OGL 1.0a, il est indispensable de :

  • préalablement mettre en œuvre une analyse minutieuse des éléments devant relever de l'identité du produit ("Product Identity") et ceux devant relever du contenu ouvert ("Open Content"). Ceci vise à éviter, de manière conforme à la stratégie du titulaire des droits, la divulgation comme contenu ouvert des textes et graphismes devant relever de l'identité du produit, et inversement. Ceci vise aussi à éviter la divulgation comme contenu ouvert d’œuvres ou parties d’œuvres sans que leur divulgateur soit titulaire de droits patrimoniaux suffisants à cet effet (ce contre quoi le bénéficiaire est d'ailleurs mis en garde par la licence elle-même à son article 5) ;
  • identifier et énumérer avec précision, dans la section de la licence OGL 1.0a destinée à cet effet, les parties de l’œuvre devant relever de l'identité du produit et celles devant relever du contenu ouvert - chapitre par chapitre, voire illustration par illustration et paragraphe par paragraphe. Ceci a pour objet de permettre aux sous-bénéficiaires qui auront accès à l'ouvrage de distinguer précisément l'assiette des droits qui leur seront concédés en vertu de la licence OGL 1.0a ;
  • identifier avec précision, dans la même section, les parties de l’œuvre qui dérivent d'un contenu ouvert préexistant au sens de la licence OGL 1.0a et énumérer les mentions de paternité ("COPYRIGHT NOTICE" au sens de la licence OGL 1.0a) des auteurs et/ou des titulaires des droits patrimoniaux sur les contenus ouverts ainsi réutilisés. La licence OGL 1.0a indique précisément le contenu de la mention de paternité à apposer dans son article 6 "Notice of License Copyright". Les lecteurs seront libres de réutiliser le contenu ouvert de cet ouvrage sous les conditions de la licence, et devront donc récapituler la totalité des mentions de paternité figurant à la fin de la licence (ce qui peut faire de nombreux paragraphes).

Mais moi, je suis un créatif ! Un artiste, môssieur !

Évidemment, il n'y a pas que la licence OGL 1.0a qui permette l'exercice par un tiers de droits patrimoniaux sur le contenu d'un ouvrage de JdR : il ne s'agit que de l'exemple le plus connu et le plus populaire dans le petit monde de l'édition rôlistique sous licence.

En effet, Hasbro a choisi une licence différente (et nettement plus restrictive) pour publier la 4e édition de Donjons & Dragons, ceci avec le succès que l'on sait (/ironie).

De même, nombreux sont les auteurs indépendants qui publient leurs créations sous l'une ou l'autre des licences Creative Commons. De nombreux sites présentent en détail cette famille de contrats de licence, plus ou moins libres et plus ou moins ouverts (les licences ND & NC sont des licences non libres, non ouvertes, par exemple), et je vous invite à vous référer à cette explication plutôt claire.

Pour résumer si vous avez eu la flemme de cliquer sur le lien précédent, la licence CC-By-SA fait pour la totalité d'une œuvre ce que la licence OGL 1.0a fait pour la seule partie de cette œuvre identifiée comme contenu ouvert, et la licence CC-By permet l'utilisation sans limite de la totalité des droits patrimoniaux sur l’œuvre par tout bénéficiaire (les droits moraux sont gérés avec le "By").

Exercer des droits sans licence

En l'absence de licence, est-il possible de créer de toutes pièces un JdR dérivé d'une œuvre préexistante (JdR ou non) ? Un individu peut-il soudainement décider d'écrire un ouvrage entier "Matrix RPG" et le publier commercialement ou non sans que les titulaires et les auteurs de l’œuvre originelle ne lui tombent dessus comme la vérole sur le bas-clergé breton ?

La question (avec un JdR préexistant) a déjà été effleurée mais n'a pas été vraiment tranchée dans une décision (certes de droit anglo-saxon) TSR, Inc. v. Mayfair Games, Inc., 1993 WL 79272 (N.D. Ill.). Cette décision condamne Mayfair Games dans le cadre d'un accord commercial incluant une concession de marque entre TSR et Mayfair Games. La partie basée sur le droit d'auteur est quasi-nulle, et cette décision n'a pas d'autre intérêt que de présenter des considérations sur la fin de non-recevoir à l'anglo-saxonne basée sur le non-exercice d'un droit pendant une longue période - "laches" - ce qui est peu pertinent pour la question qui nous occupe.

Sur le principe, rien n'empêche quiconque d'écrire et publier quelque ouvrage que ce soit, sous réserve de ne pas porter atteinte :

  • à l'ordre public (par exemple, un supplément sauvage pour In Nomine Satanis qui prônerait clairement l'élimination physique des handicapés et des gendarmes et la pratique de la zoophilie en public porterait atteinte à l'ordre public) ;
  • aux droits de tiers (et c'est sur cette deuxième condition que les choses commencent à se compliquer).

Concernant ces droits de tiers qui viendraient limiter la liberté d'écrire le nouveau JdR (l’œuvre nouvelle), on peut certes penser aux droits d'auteur patrimoniaux, qui en l'absence de licence interdisent à l'auteur de l'ouvrage sauvage de reprendre les textes, descriptions, illustrations, et possiblement maquette figurant dans l’œuvre originelle.

Les auteurs peuvent également tenter de s'opposer à cette œuvre dérivative (mais pas forcément dérivée) sur la base de leurs droits moraux, en soutenant que la teneur de l’œuvre nouvelle porterait atteinte au respect dû à l’œuvre originelle, ou encore à leur droit au nom si l’œuvre nouvelle tend à nier le lien de paternité entre les auteurs / titulaires originaux et l’œuvre originelle.

Au nombre des fondements pour s'opposer à ce supplément sauvage, on trouve également le droit des marques si le titulaire des droits sur l’œuvre originelle a déposé son titre ou des noms précis comme marques. De même, se pose la question de la concurrence déloyale (via des actes de parasitisme tendant à créer une confusion dans l'esprit des acheteurs non avertis) faite à l’œuvre originelle.

Mis à part la contestation basée sur le parasitisme qui vise non pas l’œuvre nouvelle mais le comportement de son auteur, le rédacteur d'un JdR ou supplément sauvage peut tenter de limiter la casse en s'assurant :

  • de n'utiliser aucune marque déposée, ni aucun nom trop "caractéristique" de l’œuvre originelle (à votre avis, pourquoi les Hobbits s'appellent "Hafelins" dans Donjons & Dragons ?) ;
  • de ne reprendre aucun texte ni illustration, ni même s'en inspirer de loin ou de près au niveau graphique ;
  • de ne permettre qu'aucune confusion ne s'installe entre l’œuvre originelle et l’œuvre nouvelle, en partant du principe que l'aune à laquelle cette confusion sera appréciée est l'intelligence d'un enfant de 5 ans légèrement déficient (celle du "bon père de famille").

Bref, un tel comportement n'est possible que si l’œuvre nouvelle ne peut pas être reconnue de près ou de loin une œuvre dérivée de la première. Ainsi, en son temps, l'éditeur West End Games réutilisait les textes et créations refusées (ou impossibles à faire accepter) par Lucasfilm Ltd. pour le jeu de rôle de la Guerre des Étoiles D6 dans sa propre gamme Shatterzone, en modifiant les noms des factions et éléments trop évidemment reconnaissables de l'univers étendu.

Les sanctions

L'individu qui exerce sur une œuvre des droits patrimoniaux réservés au titulaire ou moraux réservés à l'auteur est dans une situation de violation de droits d'auteurs.

Cette situation porte le nom de contrefaçon, et peut engager non seulement sa responsabilité civile à l'égard des tiers dont les droits ont été lésés, mais également sa responsabilité pénale car l'exploitation d'une contrefaçon constitue un trouble à l'ordre public.

L'alinéa 1 de l'article L.335-2 qui régit cette situation de violation dispose d'ailleurs : "Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit."

L'alinéa 1 de l'article L335-3 dispose en outre : "Est ... un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi."

La violation d'un contrat de licence implique l'exercice de droits patrimoniaux sur une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, et constitue donc un délit de contrefaçon (et de même, l'exercice des droits moraux sur une œuvre de l'esprit en violation de l'auteur constitue également un délit de contrefaçon mais ce n'est pas ce qui nous occupe dans ce billet).

Les alinéas 2 et suivants de l'article L.335-2 précisent les sanctions de la contrefaçon : "La contrefaçon en France d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. Seront punis des mêmes peines le débit, l'exportation, l'importation, le transbordement ou la détention aux fins précitées des ouvrages contrefaisants."

La violation d'un contrat de licence est donc une situation de contrefaçon, avec des conséquences potentiellement graves pour le contrefacteur.

Mais ce n'est pas tout : les œuvres contrefaites (c'est-à-dire les œuvres résultant de l'exercice illégitime par un tiers de droits d'auteur dont il n'est pas titulaire) ont une particularité supplémentaire. Elles sont en effet hors commerce. Cela signifie qu'elles ne peuvent légitimement faire l'objet d'aucun acte juridique de disposition, location, prêt, vente, service, transformation, etc. À cet effet, voir Cass. com. 24 septembre 2003, Société C.C.P. c/ Société Ginger, qui rappelle clairement que "la marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente".

Autrement dit, un ouvrage de JdR réalisé en violation des droits d'un auteur ne peut plus faire l'objet d'une quelconque exploitation, de quelque nature que ce soit, sans une régularisation rétroactive de l'illicéité de l'exercice illégitime des droits de l'auteur par le tiers contrefacteur.

Le contrat de licence et la partie de JdR

Œuvre ou pas œuvre, quel impact ?

L'impact du contrat de licence (ou de l'absence de contrat de licence) est différent selon la qualification juridique que l'on peut accorder à une partie de JdR.

Si la partie de JdR est une œuvre et/ou l'exercice d'un droit de représentation, le fait de ne pas concéder de droits permet d'interdire par principe et par ce biais de contrôler juridiquement toute exploitation publique de ce JdR (démonstrations publiques, conventions, clubs, vidéos streamées).

Cela signifie également que l'exploitation publique d'une partie d'un JdR divulgué sous licence OGL 1.0a peut porter atteinte aux droits des titulaires de ce JdR si les éléments qui figurent dans la partie sont des éléments faisant partie du périmètre de l'Identité du produit ("Product identity") au sens de la licence OGL. Sans accord des ayants droit sur les éléments désignés comme relevant de l'identité du produit, alors l'exploitation publique de la partie de JdR basée sur lesdits éléments est une activité mise en œuvre en violation des droits de l'auteur.

En revanche, si la totalité des éléments de la partie publiée relèvent exclusivement des contenus ouverts au sens de la licence OGL 1.0a, alors l'exploitation publique de la partie de JdR ne constitue aucune violation de la licence.

Si la partie de JdR n'est pas une œuvre ni l'exercice d'un droit de représentation,, toute licence serait de toute manière superfétatoire, et toute interdiction d'usage public impossible (sous réserve que cette exploitation ne porte pas atteinte aux droits des titulaires et/ou auteurs du JdR lui-même).

Systématiser l'existence d'un contrat de licence ?

Il n'est nul nécessité de publier tous les ouvrages de JdR sous licence OGL 1.0a ou Creative Commons. En revanche, si l'on part du principe que la partie de JdR exploitée publiquement (par vidéogramme / démo / club / convention) est une œuvre protégeable par le droit d'auteur, alors il semble de bonne politique ou à tout le moins raisonnable de prévoir un contrat de licence à cet effet dans chaque ouvrage de JdR : ceci permet au titulaire des droits de contrôler (ou au contraire d'ouvrir à sa convenance) l'exploitation publique de l’œuvre réalisée par des tiers, en précisant explicitement les conditions de réutilisation des éléments de l'ouvrage.

Par exemple, on peut imaginer qu'un auteur pourrait interdire que soit joué publiquement un scénario qui révèle certains secrets du background, ou exiger que soient cités les auteurs avant chaque partie publique (d'ailleurs, j'ai déjà pu remarquer des youtubeurs faire exactement cela en ouverture de leur vidéo).

Il s'agit ni plus ni moins que d'une méthode efficace pour préserver les intérêts économiques des ayants droit sur un ouvrage de JdR tout en assurant clairement la sécurité juridique tant des MJ et joueurs qui entendent exploiter publiquement les parties de JdR basées sur ces ouvrages que des tiers qui pourraient souhaiter créer des œuvres dérivées basées sur ledit ouvrage.

Peut-on faire signer un contrat de licence avant une partie de JdR ?

Mais si la partie de JdR est vraiment une œuvre plurale, cela ne signifie-t-il pas que les différents participants pourraient parfaitement choisir de régir la divulgation de leur création par un contrat de licence ?

Si l'on part du principe qu'un joueur ou un MJ font acte de création au cours de la partie, en matérialisant une idée originale, ils disposent donc en théorie des prérogatives de l'auteur sur le résultat de leur création.

Autrement dit, rien ne semble empêcher le participant à une partie de JdR de subordonner l'exercice des droits patrimoniaux sur sa création (ou sa part de création) à l'acceptation d'un contrat de licence.

Dans une telle hypothèse, la réponse à la question "peut-on signer un contrat de licence avant d'entrer dans le donjon ?" est (aussi inconcevable que cela puisse d'ailleurs paraître) OUI.

Quelles conséquences à ce oui ?

En organisant eux-mêmes leurs droits patrimoniaux via un accord de licence (impliquant par exemple des cessions non-exclusives croisées), les participants ont la possibilité de redéfinir titularité et conditions d'exercice ces droits patrimoniaux d'une manière différente de celle prévue par le droit commun. Ainsi, les participants peuvent décider d'une co-titularité (permettant à chaque participant d'exercer de manière indépendante la totalité des droits patrimoniaux sur la partie de JdR-œuvre dans son ensemble) au lieu de se retrouver dans la situation de droit commun d’œuvre de collaboration ou d’œuvre collective. Ils peuvent également souhaiter fixer la licence applicable à l’œuvre plurale.

Ce type de contrat se rapproche des accords-cadre de contribution ("contributor licensing agreement"), pratique courante dans le cadre du développement de logiciels libres, où les contributeurs s'engagent à céder de manière exclusive ou non les droits patrimoniaux sur leur création (habituellement du code source) à l'organisation titulaire des droits sur le projet auquel ces contributeurs veulent participer. Ces types d'accord-cadre peuvent inclure des obligations à la charge du (con-)cessionnaire des droits patrimoniaux, telles que par exemple le fait de publier l’œuvre plurale résultant de la fusion des contributions tierces sous une licence libre.

J'ouvre immédiatement une parenthèse destinée aux juristes pour préciser que ces types de contrats ne tombent pas dans le cas de la nullité de la cession globale d’œuvres futures, dans la mesure où les modalités de la cession ne sont effectives que pour les créations que le contributeur souhaite céder auxdites modalités : il n'est nulle obligation pour le contributeur de créer des œuvres, ni de les céder obligatoirement à l'organisation, mais s'il choisit de le faire, alors il sera tenu par les stipulations de l'accord-cadre.

Articulant cette logique avec celle de la licence OGL et des licences Creative Commons rappelée plus haut, rien n'empêche d'imaginer que des participants à une partie de JdR puissent convenir par contrat de la licence applicable à leur création plurale en même temps qu'ils en désignent le titulaire, voire qu'ils décident contractuellement que le MJ devra fournir plus de points d'Xp en contrepartie de la cession des droits patrimoniaux à son bénéfice.

En conclusion, la qualification de la partie de JdR comme œuvre plurale rend cette approche possible. Quant à savoir si un tel encadrement contractuel des parties de JdR (dont l'aboutissement logique serait la plate-forme de MJaaS "MJ as a Service" pour la livraison de votre campagne en moins de 30 minutes) est souhaitable, il appartient à chacun d'en décider.

UPDATE : Pour une licence ludique de droit français relativement concise et spécialement conçue pour les systèmes de jeu, vous êtes encouragés à utiliser la licence Triskell : Gestion Contractuelle des Mécaniques de jeu

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