[Réflexion] Le droit d'auteur appliqué aux parties de JdR ?

Où s'arrête la responsabilité de l'auteur, et où commence celle du meneur de jeu ?

D'une première réflexion sur cette organisation du partage de la création entre auteur et meneur de jeu, toute une problématique s'est rapidement manifestée quant à la notion de la partie de Jeu de rôle en tant que représentation d'une œuvre préexistante, ou bien en tant qu’œuvre éphémère de collaboration entre les divers participants.

Cette problématique soulève d'autres interrogations sur la manière dont le droit d'auteur peut appréhender l'objet "partie de Jeu de rôle", et les conséquences des différentes qualifications juridiques appliquées à une partie de Jeu de rôle.

Bref, un avertissement est de rigueur : ceci est un billet juridique assez trapu (que certains trouveront sans doute soporifique) basé sur l'état du droit (et du JdR) à la fin de l'année 2018, et qui ne sera probablement jamais mis à jour.

La remarque que l'on entend habituellement sur le partage de création entre auteur et meneur de jeu est qu'une fois que l'auteur a publié son jeu, celui-ci ne lui appartient plus vraiment : le meneur de jeu et les joueurs vont s'approprier son univers et en faire quelque chose de différent.

Le jeu de rôle, comme l'a très bien fait remarquer Olivier Caïra dans "Jouer avec l'Histoire", est en effet basé sur plusieurs incertitudes croisées :

  • chaque joueur ignore ce que l'auteur a écrit, ce que le MJ a préparé, ce que les autres joueurs ont ou vont imaginer ou faire, et ce que seront les résultats des dés ;
  • le meneur de jeu ignore ce que les joueurs ont ou vont imaginer ou faire, et ce que seront les résultats des dés.

Sur cette base, l'auteur a réalisé une trame, posé des hypothèses, proposé des alternatives, mais c'est au cours de la partie et seulement celle-ci que ces incertitudes seront résolues et que la narration se déroulera comme elle doit se dérouler.

Cependant, cette question soulève d'autres questions plus délicates sur la nature du jeu de rôle, et notamment la nature de sa protection en tant qu’œuvre par le droit d'auteur (ici le droit d'auteur "à la française", mais compte tenu du nombre de pays signataires de la Convention de Berne, le raisonnement peut être élargi et étendu à la plupart des pays signataires sans trop de risque d'erreur).

Rappels juridiques sur le droit d'auteur

Premier rappel, une œuvre est protégeable par le droit d'auteur dès lors qu'il s'agit de la matérialisation (écrite, orale, musicale, etc.) originale d'une idée de son auteur. Cette protection par le droit d'auteur se produit instantanément, dès la matérialisation de l’œuvre, sans qu'il soit besoin de l'enregistrer ou de la déposer. En revanche, il faudra le cas échéant être en mesure de prouver cette matérialisation par tous moyens. Le mérite artistique n'entre pas en ligne de compte (ce qui explique l'existence des colonnes de Buren), pas plus que la destination de l’œuvre (décorer un supermarché ou être exposée dans un musée), ou bien son caractère durable ou éphémère.

En ce qui concerne l'originalité, il faut également se rappeler que les idées sont de libre parcours :SPOILER tant Anthony Horowitz que Joan K. Rowling ont eu l'idée d'un gamin maltraité dans sa famille, dont la tante finit par gonfler et s'envoler, découvrant une école étrange au nord de l'Angleterre, où on apprend la sorcellerie, où les tableaux bougent tous seuls, où les fantômes semblent se mouvoir librement, où l'un des professeurs est un loup-garou, et un autre est secrètement l'antagoniste du héros, et les élèves s'affrontent pour récupérer une coupe magique - mais FIN DU SPOILER la matérialisation pratique de leur idée commune sous la forme d'ouvrages littéraires est très différente, de sorte que l’œuvre de Joan K. Rowling est très certainement protégée par le droit d'auteur et ne pourra très probablement pas être considérée comme une reproduction servile sans autorisation (c'est-à-dire un plagiat) des (excellents) romans d'Anthony Horowitz.

C'est donc l'originalité de la matérialisation qui est prise en compte, et qui explique pourquoi on peut trouver sur le marché des jeux de rôle aux thématiques très proches comme Prédateurs de Flamberge et Vampire de White Wolf sans pour autant considérer que Mark Rein•Hagen s'est livré à un plagiat portant atteinte aux droits des auteurs et éditeur de Prédateurs.

Deuxième rappel, le Code de la propriété intellectuelle distingue entre droits patrimoniaux et droits moraux applicables à une œuvre, dès lors que celle-ci est protégeable.

Les droits patrimoniaux sont les droits de reproduction, représentation, modification, traduction, adaptation, arrangement, et exploitation (comprendre distribution). Ils sont qualifiés de patrimoniaux parce que leur exploitation par leur titulaire (l'auteur principalement, mais s'il les a cédés, cela peut-être l'éditeur) aboutit habituellement à un avantage lucratif. Ils sont librement cessibles par l'auteur, qui a toute latitude pour organiser leur cession ou concession, via l'établissement de contrats ou de licences d'usage. Lorsqu'un auteur écrit un ouvrage pour un éditeur, il cède habituellement ses droits patrimoniaux à cet éditeur en échange d'une contrepartie financière déterminée par contrat. L'éditeur devient dès lors titulaire des droits patrimoniaux (mais l'auteur reste auteur et titulaire des droits moraux, voir ci-après) sur l’œuvre.

Les droits moraux sont le droit au nom et à la qualité d'auteur (le fait pour une personne physique de pouvoir dire qu'elle est auteur), le droit de divulgation (le droit de révéler son œuvre au public), le droit au respect de l'intégrité de l’œuvre (le droit de s'opposer à un acte d'exploitation de l’œuvre qui la dénaturerait, qui la détruirait ou qui attenterait d'une manière ou d'une autre au respect de l'auteur, de son honneur, de sa réputation ou de ses intentions en divulguant l’œuvre - par exemple à l'exploitation de l’œuvre à des fins pornographiques), et le droit de retrait de l’œuvre (sous réserve de dédommager des tiers qui pourraient être lésés, c'est le fait de pouvoir revenir sur sa décision de divulgation de l’œuvre). En France, ces droits moraux sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles (ça explique pourquoi les éditeurs titulaires des droits patrimoniaux sont encore souvent obligés de dire qui est l'auteur des JdR qu'ils publient).

Un livre de jeu de rôle, un scénario, un groupe de scénario écrits, qu'ils soient publiés professionnellement ou non, sont - dès lors qu'ils sont matérialisés et originaux - protégeables par le droit d'auteur et constituent des œuvres littéraires et artistiques. J'ouvre immédiatement une parenthèse pour soulever le fait que les mécaniques des règles (principes de jeu, procédures de lancers de dés, etc.) ne sont pas protégeables par le droit d'auteur, mais que leur matérialisation sous forme écrite l'est. C'est aussi ce qui permet la tendance "Old-school revival" et les ouvrages du genre OSRIC, dont la teneur est particulièrement similaire à celle des anciens ouvrages de Donjons & Dragons, mais dont aucun texte (i.e. la matérialisation des règles sous forme écrite) n'est repris à l'identique : il ne s'agit pas d'une reproduction servile, ni d'une œuvre dérivée, mais d’œuvres purement originales protégeables et protégées par le droit d'auteur malgré des mécaniques de jeu très similaires.

Ceci étant posé, d'autres notions seront probablement abordées dans le cadre de cet article, et il convient de les rappeler : Une œuvre peut avoir plusieurs titulaires de droits et plusieurs auteurs, et être elle-même composée de plusieurs œuvres (qui peuvent elles-mêmes avoir plusieurs titulaires) :

  • l’œuvre composée de plusieurs autres œuvres est une œuvre composite. L'article L. 113-2, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle la définit comme "l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière". L'incorporation vise plutôt le cas où cette œuvre préexistante est intégrée totalement, et moins le cas où seules des parties préexistantes sont intégrées dans l’œuvre nouvelle (ce qui relèverait plutôt de la notion d'œuvre dérivée au sens de l'article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle). Pour approfondir la question, voir CA Paris, 1e ch., 10 mars 1970, D. 1971, p. 114, note P. L., mais également CA Versailles, ch. réunies, 18 mars 1992, RIDA 4/1998, p. 278 où une œuvre est qualifiée à la fois de composite et de dérivée ;
  • l’œuvre de collaboration est une œuvre créée par plusieurs individus à la fois, faisant acte de co-création d'une manière habituellement concomitante (enfin plus ou moins), où chaque contribution de chaque auteur peut être identifiée - et attribuée précisément à chaque auteur. Les auteurs d'une œuvre de collaboration sont co-titulaires des droits sur celle-ci, et pour exercer des actes de disposition (par exemple une cession de droits patrimoniaux à un éditeur), la totalité des auteurs doit être unanimement en accord avec cette cession. Si l'un des auteurs n'est pas d'accord, sa contribution personnelle peut être retirée de l’œuvre avant cession des droits patrimoniaux afin de permettre aux autres auteurs de céder les leurs. Un livre de Jeu de rôle est souvent une œuvre de collaboration, qui s'occupant des illustrations, qui s'occupant du chapitre relatif aux maladies et aux poisons, qui travaillant sur la maquette visuelle, etc.
  • l’œuvre collective est une œuvre crée par plusieurs individus à la fois, faisant acte de co-création d'une manière habituellement concomitante, mais où les contributions respectives des auteurs ne peuvent plus être identifiées dans l’œuvre (sachant que les formes émergentes de travaux collaboratifs tendent à remettre en question cette définition, que le rédacteur de ces lignes considère plutôt comme une œuvre plurale dont les contributions respectives des coauteurs ne peuvent pas être retirées / extraites / supprimées). Dans cette situation, est habituellement titulaire des droits patrimoniaux sur l’œuvre collective la personne (souvent morale) au nom et à l'initiative de laquelle cette œuvre collective a été divulguée (exemples d’œuvres collectives : une sculpture d'argile réalisée à plusieurs mains, un slogan publicitaire élaboré par une agence de publicité).

Au voisinage du droit d'auteur

Une autre notion sera abordée dans cet article, à savoir celle des droits voisins de ceux de l'auteur. Ces droits voisins sont les droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes, vidéogrammes et bases de données. Nous parlerons surtout dans cet article des droits voisins des artistes-interprètes, qui jouissent de droits sur leur travail de représentation d'une œuvre préexistante.

Ces droits voisins de l'artiste-interprète sont également démembrables en droits :

  • patrimoniaux, correspondant au fait de pouvoir exploiter commercialement l'interprétation de l’œuvre ainsi que la fixation de celle-ci, et donc en tirer profit. Les exploitations secondaires de l'interprétation (par exemple par diffusion d'une captation d'image de celle-ci) donnent habituellement lieu à rémunération de l'interprète. Par ailleurs, le fait d'interpréter une œuvre équivaut techniquement à l'exercice du droit patrimonial de représentation dont l'auteur de l’œuvre est titulaire - et aboutit habituellement à ce que l'auteur soit rémunéré en contrepartie de cette concession non-exclusive de son droit de représentation à l'interprète qui exerce ce droit de représentation en interprétant cette œuvre.
  • moraux, correspondant globalement au droit au nom et au respect de l'artiste, de sa qualité et de son interprétation.

Qualification juridique d'une partie de Jeu de rôle

Reste la partie de JdR en elle-même : est-elle une œuvre ? Est-elle l'exercice d'un droit patrimonial lié à l’œuvre ? Est-elle plus que cela ?

Coralie David explique dans son article "Le jeu de rôle sur table : une forme littéraire intercréative de la fiction ?" que "Le JdR est l’expérience collective et orale d’une création et d’une réception de la fiction par le langage" : on ne saurait mieux définir le JdR comme activité créatrice d'une oeuvre orale, au même titre qu'une poésie qui aurait été inventée et déclamée spontanément par son auteur à un cercle d'auditeurs restreint.

Un livre de jeu de rôle (un livre de règles, un livre relatif à l'univers, etc.) et un recueil de scénarios de jeu de rôle sont faits pour être lus, mais ont essentiellement vocation à être joués. Le jeu de rôle se rapproche dans une certaine mesure du jeu de société proprement dit, façon "Monopoly", qui est également une œuvre littéraire et artistique protégeable et protégée par le droit d'auteur, par son support matérialisé.

Il en diffère cependant parce que ce support n'est nullement un prérequis obligatoire, et également du point de vue de la résultante de l'exécution du jeu :

  • le résultat d'une partie de jeu de société en général est un bon moment d'amusement entre participants (du moins peut-on l'espérer) ;
  • le résultat d'une partie de jeu de rôle est, outre un bon moment d'amusement entre les participants, l'élaboration progressive et la matérialisation orale d'une narration, via l'interprétation de leurs personnages par les joueurs, sur la trame suggérée plus ou moins fortement par l'auteur. Bref, cela ressemble fortement à l'acte de formalisation de plusieurs idées créatives issues de l'esprit des joueurs.

Afin d'aboutir à une qualification juridique, il semble utile d'établir un parallèle avec une pièce de théâtre, qui peut certes être lue, mais qui a vocation à donner lieu à une interprétation vivante et éphémère par les comédiens, sous la direction artistique d'un metteur en scène, qui est l'exercice du droit patrimonial de représentation de la pièce de théâtre.

La représentation est définie par l'article L122-2 du Code de la propriété intellectuelle de la manière suivante : "La représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque, et notamment : 1° Par récitation publique, exécution lyrique, représentation dramatique, présentation publique, projection publique et transmission dans un lieu public de l’œuvre télédiffusée ..."

Transposée au JdR, la "représentation" d'un livre et/ou d'un scénario de jeu de rôle est la partie elle-même, au cours de laquelle l’œuvre préexistante qu'est le scénario se voit interprétée, réinterprétée, voire fortement altérée par les différents participants autour de la table de jeu.

Le public de cette représentation est constitué :

  • au minimum des différents participants, chaque joueur étant public du MJ et des autres joueurs, le MJ étant également public des improvisations et initiatives des joueurs ;
  • des éventuels spectateurs présents autour de la table dans le cadre d'une partie se déroulant dans un lieu public, la narration partagée crée au cours de la partie n'étant pas intelligible seulement par les participants mais également par les tiers présents ;
  • d'éventuels spectateurs de la télédiffusion d'une partie filmée.

La partie de jeu de rôle proprement dite pourrait donc recevoir les qualifications juridiques suivantes :

1. si la partie se base sur un jeu ou un scénario préexistant, la représentation d'une œuvre préexistante (l'ouvrage conçu par l'auteur de JdR) par exercice du droit patrimonial de représentation, faisant naître une œuvre dérivée ainsi que des droits voisins d'artistes-interprètes au profit des participants ;

2. une nouvelle œuvre qui pourrait (1) être basée sur la mise en scène partagée (résultant principalement de l'activité créatrice du meneur de jeu mais également, dans une certaine part, de l'activité des autres participants) de l’œuvre préexistante, (2) ou bien être également constituée de la performance d'artiste créative, éphémère et unique de ses participants, comparable à la fiction créée de manière spontanée et immédiate dans le théâtre d'improvisation (surtout lorsque la narration sort du cadre prévu par le scénario), (3) tout en incorporant potentiellement des parties d’une œuvre préexistante protégées par le droit d'auteur, donc constituant une œuvre dérivée.

Analysons plus en détail chacune de ces qualifications possibles.

Conséquences de la qualification de la partie de JdR comme exercice du droit de représentation

L'autorisation des auteurs et titulaires de droits

L'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que "toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle de l’œuvre faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque."

Si en effet la partie de JdR est l'exercice du droit de représentation d'une œuvre antérieure préexistante, alors il est en principe nécessaire que les participants d'une table de JdR se préparant à jouer le scénario antérieurement divulgué disposent de l'autorisation du titulaire des droits patrimoniaux sur ledit scénario.

Toutefois, l'article L. 122-5 du Code précité pose une exception à ce principe : "Lorsque l’œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : 1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ;"

Cette qualification permet donc encore à un groupe d'amis proches (ou à une famille) de se réunir autour d'une table de jeu et de faire ensemble une partie de JdR.

La notion de cercle de famille est essentiellement jurisprudentielle, notamment appliquée aux différentes décisions sur l'exception de copie privée des vidéogrammes (mais bien entendu extensible au cas de l'interprétation in vivo d'une œuvre théâtrale), et interprétée très restrictivement par les tribunaux comme n'incluant que les personnes parentes ou amies très proches, unies de façon habituelle par des liens familiaux ou d’intimité.

Selon cette acception, les parties de JdR du dimanche entre amis à la maison sont sauvées : elles ne requièrent pas d'autorisation préalable des auteurs du JdR et scénario. Ouf !

Mais qu'en est-il du cas des parties réalisées en clubs ? Des démonstrations dans les manifestations publiques ? Des vidéos et podcasts de parties se multipliant dorénavant sur les plates-formes de streaming ?

Par définition, les clubs de JdR réunissent des personnes liées par une communauté d'intérêts. Les membres de clubs de JdR ne sont pas des personnes parentes ou des amis très proches unis de façon habituelle par des liens familiaux ou d’intimité - même si de tels liens d'amitié et d'intimité peuvent fréquemment peut naître autour de la table de JdR. En outre, les clubs réclament souvent une cotisation, participation ou adhésion à une association, ce qui vient contredire le critère de gratuité - même si les parties elles-mêmes ne sont pas payantes de manière individuelle.

Les parties de démonstration dans les manifestations ouvertes au public (telles que les conventions) sont par nature... publiques, ce qui est nécessairement exclusif d'une représentation dans un cadre privé. En outre, ces manifestations font souvent payer un droit d'entrée, ce qui introduit une notion d'exploitation économique de la représentation exclusive d'un cadre familial ou amical.

Par conséquent, ces parties en club et ces démonstrations dans le cadre de manifestations ouvertes au grand public ne relèvent pas de l'exception de représentation privée et gratuite dans le cercle de la famille.

Les vidéos filmées de parties de JdR correspondent très exactement à l'exercice du droit de représentation par communication de l’œuvre au public ... 2° Par télédiffusion. La télédiffusion s'entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données et de messages de toute nature. (article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle).

Les télédiffusions de ces parties sur les plates-formes de streaming se fait à destination du public, et génèrent également une rémunération par les gestionnaires de plates-formes - ce qui exclut également ici qu'il s'agisse d'une représentation privée et gratuite dans le cercle de la famille.

Or, selon l'article L. 131-2, alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle, "les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle (...) doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution."

Cela signifie que, conformément aux règles du droit d'auteur, les parties de JdR en club, en convention, ou diffusées sur des plates-formes de streaming, dès lors qu'on pourrait les qualifier d'exercice du droit de représentation d'une ou plusieurs œuvres préexistantes, requièrent normalement un accord des auteurs des œuvres préexistantes, accord qui doit nécessairement intervenir par écrit ad validitatem (c'est-à-dire que l'écrit est une condition nécessaire mais pas suffisante de la validité de cet accord).

Peu d'auteurs de JdR et/ou de scénarios pensent à accorder une telle autorisation écrite.

La licence ludique libre Open Gaming License 0.1a constitue une exception notable, car elle prévoit une autorisation générale de "distribution" pour tout bénéficiaire de contenu sous ladite licence, la définition de la distribution dans le cadre de cette licence recouvrant des actes relevant de l'exercice du droit de représentation selon l'article L. 122-2 précité, assortie néanmoins de conditions telles que le fait de faire figurer les notices correctes d'attribution des auteurs et titulaires des droits des œuvres préexistantes, et de conserver la même licence.

Pour autant, cette licence OGL 0.1a a été conçue d'abord pour régir les œuvres écrites directement dérivées des œuvres préexistantes sous cette licence, ce qui explique son caractère inadapté à de telles situations : peut-on raisonnablement attendre d'un MJ qui maîtrise une partie filmée ou une partie en convention d'ouvrir soudainement une parenthèse pour définir dans sa description ce qui relève de la licence ludique libre et ce qui relève de l'identité du produit ("product identity", qui est exploitable en conjonction avec le contenu ouvert donc peut être représenté par le MJ, mais non soumis aux termes de la licence libre) selon la licence OGL 0.1a ?

La naissance de droits voisins pour les participants

Autre conséquence de la qualification de la partie de JdR comme exercice du droit de représentation : elle fait naître des droits voisins d'artistes-interprètes au profit des participants, puisque ceux-ci sont les interprètes des personnages s'intégrant dans la narration résultant de la représentation vivante de l’œuvre écrite préexistante.

Cette qualification des joueurs participants comme artistes-interprètes est encore renforcée par le recours éventuels à des personnages pré-tirés conçus par l'auteur du JdR et/ou du scénario, puisque l'apport créatif des joueurs participants est conditionné par les aspects, caractéristiques et description de leur personnage d'ores et déjà défini par l'auteur.

Selon cette acception, les joueurs participants disposeraient donc de droits patrimoniaux dits "voisins" sur leur interprétation de leur personnage, d'une durée de 50 ans "à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de l'interprétation" ou, si "durant cette période, une fixation de l'interprétation dans un vidéogramme ou un phonogramme fait l'objet ... d'une communication au public", la durée est de 50 ans après ces faits pour un vidéogramme, et 70 ans après ces faits pour un phonogramme (article L.211-4 du Code de la propriété intellectuelle).

La reconnaissance de tels droits voisins pour les participants d'une partie de JdR ouvrirait alors la possibilité pour ces "joueurs-artistes-interprètes" de faire valoir un droit à une rémunération auprès des exploitants (plates-formes de streaming & podcasts) des vidéogrammes et phonogrammes ayant capturé l'interprétation de leur personnage (bien entendu hors des cas d'exclusion L. 211-3 du Code dont l'énumération serait ici fastidieuse).

Conséquences de la qualification de la partie de JdR comme œuvre nouvelle

La mise en scène partagée de l’œuvre préexistante

La représentation fait naître, sur la représentation spécifique de l’œuvre, des droits d'auteur au profit du metteur en scène ainsi que des droits voisins des artistes-interprètes au profit des comédiens.

L'avenant du 10 novembre 2016 relatif aux dispositions du titre VI « Metteur en scène de théâtre » de l'annexe I de la convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant du 3 février 2012 présente de manière très claire l'origine de son droit d'auteur (qui n'est pas un droit voisin) pour le metteur en scène :

Le metteur en scène de théâtre est celui qui, par son art personnel et sa créativité, apporte à l'œuvre écrite par l'auteur, une vie scénique qui en fait ressortir les qualités sans jamais en trahir l'esprit, son rôle s'inscrivant sur deux plans distincts :

- celui de la création intellectuelle correspondant à sa conception artistique de la mise en scène et qui lui confère les droits de propriété littéraire et artistique en sa qualité d'auteur de la mise en scène ;

- celui de l'exécution matérielle de cette conception dans le cadre de laquelle il exerce sous l'autorité du producteur et dans le strict respect du droit des autres auteurs, et particulièrement celui de l'auteur de l'œuvre initiale écrite ou composée, le choix des artistes et de tous les intervenants créatifs artistiques et techniques dont il prépare, coordonne et dirige le travail.

Via l'interprétation des PNJ, via les décisions sur l'enchaînement des situations, via ce qu'il apporte en termes d'ambiance, le MJ ressemble fortement à un metteur en scène : il décide du jeu d'acteur requis pour l'interprétation des PNJ, il décide de l'ambiance lumineuse, des décorations de la table, de l'illustration musicale et des illustrations picturales de la partie - en s'aidant le cas échéant des indications de l'auteur, mais avec néanmoins une très grande liberté dans cette mise en scène.

Il faut rappeler néanmoins que cette distinction entre le droit d'auteur du metteur en scène et le droit voisin de l'artiste-interprète devient assez floue si on tente de qualifier les activités des joueurs participant à une partie de Jeu de rôle.

En effet, ceux-ci ne suivent pas aveuglément un script déjà totalement écrit (pour autant qu'ils le suivent !), ni des indications particulières du MJ/metteur en scène.

Via l'interprétation de son personnage, sur laquelle il a un contrôle presque absolu, chaque joueur a un impact potentiellement très fort sur le résultat final de la performance qu'est la partie de JdR, et peut ainsi grandement altérer la trame initialement imaginée par l'auteur.

Chaque participant est donc à la fois comédien et un peu metteur en scène, en plus d'être public actif où "la fiction est assimilée alors même qu’elle est créée, le phénomène de réception venant nourrir celui de la création." (Coralie David, Le jeu de rôle sur table : une forme littéraire intercréative de la fiction ?)

La mise en scène nouvelle est donc une œuvre de collaboration, "propriété commune des coauteurs" qui "doivent exercer leurs droits d'un commun accord" selon l'article L. 113-4 du Code de la propriété intellectuelle, et qui résulte des activités créatrices de mise en scène combinées du meneur de jeu et des joueurs.

Une performance d'artiste

Cependant, un autre parallèle est également envisageable : la partie de JdR a pour objet la création d'une narration éphémère, qui n'a pas vocation à être rejouée plusieurs fois par les mêmes participants avec les mêmes personnages. Les joueurs apportent en outre une spontanéité dans leurs réactions, prises de décision, dialogues, et orientations de la trame. Enfin, les lancers de dés apportent réellement une incertitude quant au déroulement effectif de l'intrigue, obligeant la totalité des participants à improviser les événements conséquence de ces aléas.

Dans ces conditions, la partie de JdR se rapproche considérablement des performances d'artistes créatives qui sont par nature toujours uniques et éphémères (bien qu'elles puissent faire l'objet d'une captation via un vidéogramme et d'une rediffusion) de manière comparable à la fiction créée de manière spontanée et immédiate dans le théâtre d'improvisation (surtout lorsque la narration sort du cadre prévu par le scénario).

Ces performances d'artistes sont des œuvres par elles-mêmes, résultant de la combinaison des apports créatifs et talents des différents participants.

Une partie de JdR pourrait dès lors être qualifiée de performance collective d'artistes, donc d’œuvre plurale. Il resterait à trancher la nature de l’œuvre qu'est cette performance pour connaître le titulaire des droits sur celle-ci.

En effet, la partie de JdR comme performance ressemble à une œuvre de collaboration dans la mesure où chaque contribution de chaque participant peut être identifiée et attribuée précisément à chaque auteur ( "moi, j'ai dit ça, toi, tu as fait ça").

Cependant, si la partie de JdR est une œuvre de collaboration, en cas de désaccord d'un des participants avec tous les autres quant à l'exercice des droits patrimoniaux sur la partie , il n'est pas possible de résoudre ce désaccord via la suppression de l'apport créatif de ce participant en raison de la nature même d’œuvre éphémère qu'est la partie de JdR.

C'est la raison pour laquelle il semble que la qualification d’œuvre collective soit plus appropriée pour une partie de JdR, les contributions respectives des co-auteurs pouvant certes être distinguées, mais ne pouvant plus être retirées de l’œuvre sans qu'elle cesse d'être l’œuvre ni la dénaturer.

Selon cette qualification, la personne au nom et à l'initiative de laquelle cette œuvre collective qu'est la partie de JdR a été divulguée est titulaire des droits patrimoniaux et peut seule décider des modalités d'exploitation de l’œuvre.

Une œuvre composite

En pratique, la partie de JdR, lorsqu'elle n'est pas totalement improvisée par le MJ, ni mise en œuvre la base d'une trame qu'il a lui-même rédigée, mais basée sur une œuvre tierce préexistante, vient nécessairement incorporer des parties de cette œuvre préexistante, sans intervention du titulaire des droits de l'auteur de l’œuvre préexistante. Il s'agit donc d'une œuvre composite au sens de l'article L 113-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle : "Est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière."

Mettons immédiatement de côté le cas où la partie de JdR consiste par exemple à jouer l'exploration de la planète LV-426, ce qui motive le MJ à intégrer, à titre d'illustration musicale, des morceaux préexistants de l'album des bandes originales d'Alien de Jerry Goldsmith ou Aliens de James Horner.

Ici, le cas étudié est bien la partie de JdR en tant que création d'une narration commune et d'une interprétation de personnages, dérivées d'une trame, de personnage non-joueurs déjà décrits et d'indications rassemblés dans un livre de JdR et un scénario conçus exprès pour permettre le déroulement d'une ou plusieurs parties de JdR.

La première phrase de l'article L. 112-3 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : "Les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale." Également, "L’œuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l’œuvre préexistante." (article L. 113-4 du CPI).

Ce n'est donc pas parce que la création qu'est la partie de JdR pourrait être une œuvre dérivée qu'elle est pour autant dépourvue de la protection du droit d'auteur. En revanche, cette création ne doit pas se faire au préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale : l'autorisation de l'auteur de l’œuvre originale est nécessaire pour créer une œuvre dérivée.

Évidemment, cette autorisation est implicite quand un auteur fixe ses considérations dans un ouvrage de JdR, avec l'espoir que celui-ci soit lu et joué.

Toutefois, comme rappelé supra, "les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution" (Article L 131-2 du CPI alinéa 1) et "les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit" (Article L 131-2 du CPI alinéa 2).

Par conséquent, si la partie de JdR est qualifiée d’œuvre composite dérivée de l’œuvre préexistante qu'est l'ouvrage de JdR (livre de JdR ou scénario), alors son exploitation au-delà du cercle de famille de l'article L. 122-5 du CPI requiert l'accord écrit de l'auteur de l’œuvre préexistante, accord qui ne peut pas être présumé.

La sanction de cette absence d'autorisation, évoquée supra, est plutôt rude : "Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque" (Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle).

Autrement dit, si cette qualification est retenue, l'autorisation écrite expresse du titulaire des droits de l'auteur sur un ouvrage de JdR particulier est indispensable pour toute divulgation au public de l’œuvre composite qu'est la partie de JdR correspondant à l'adaptation vivante de l’œuvre préexistante, que cette divulgation soit faite dans le cadre d'une manifestation publique (convention, démonstration, ou autre) ou bien par la diffusion d'un vidéogramme ou phonogramme via une plate-forme de streaming.

Passer outre une telle absence d'autorisation constitue une prise de risque car l'exercice d'un droit de l'auteur sans en être titulaire ni disposer de son autorisation est une contrefaçon, et la contrefaçon est un délit (articles L.335 et suivants du Code de la propriété intellectuelle).

Il est important de garder à l'esprit que, comme rappelé supra, les licences ludiques libres et certaines licences Creative Commons constituent de telles autorisations écrites préalables - rendant ainsi licites les éventuelles parties de JdR, œuvres composites dérivées de ces ouvrages préalables.

La partie de JdR et le respect des droits moraux de l'auteur

De plus en plus souvent, les auteurs de JdR formulent des notes d'intention, des remarques à l'égard des lecteurs, des explications sur la manière dont la partie devrait se dérouler, sur l'ambiance qui devrait émerger au cours de la partie.

Certains s'autorisent à insister, par exemple, sur le fait que leur jeu est sérieux et que, si les personnages-joueurs ont des pouvoirs, les parties ne doivent pas tourner à une foire d'empoigne façon comic-books des années 50, mais à des situations dramatiques pleines de pathos.

Plus prosaïquement, des auteurs donnent aussi des indications sur la manière dont certains PNJ devraient être interprétés par le MJ, leurs maniérismes, leur accent, etc.

Bref, certains auteurs de JdR indiquent ce qui, selon eux, est une, voire la "bonne manière de jouer" à leur jeu.

Dans un jeu comme le Monopoly, cela ne poserait évidemment aucune difficulté : il s'agirait alors d'un rappel de la règle qui aboutit à un amusement optimisé selon l'auteur.

Mais comme évoqué plus haut, le Jeu de Rôle n'est pas qu'un jeu de société façon Monopoly. C'est un jeu dans lequel les participants vont fournir un apport créatif original pour faire naître une nouvelle interprétation de l’œuvre préexistante (l'ouvrage de JdR de l'auteur) et une œuvre composite reprenant des parties de l'ouvrage de JdR d'origine.

Ainsi, en posant des indications sur une "bonne manière de jouer" à l'intérieur de son ouvrage, l'auteur de JdR fixe tout simplement des conditions pour l'exercice du droit de représentation de l’œuvre, et donc, par extension, vient limiter :

  • les possibilités de mise en scène de son jeu ou de son scénario par les participants à la partie - exactement de la même manière que des didascalies pour les pièces de théâtre, qui font partie intégrante de la manière dont son œuvre doit être mise en scène selon le dramaturge.
  • le champ des possibles des œuvres composites pouvant résulter de l'adaptation et de la transformation de son œuvre originelle en une œuvre dérivée (hors le cas particulier de la parodie).

L'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : " L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre".

Dès lors que l'auteur a écrit quelle était, selon lui, "la bonne manière" de jouer à son JdR, il pourrait arguer que la divulgation au public (par démonstration dans une convention ou par télédiffusion) d'une représentation de son œuvre (ou d'une œuvre composite) qui ne respecterait pas cette "bonne manière de jouer" constitue une dénaturation de son œuvre originelle, et donc une atteinte à son droit moral.

Conclusions

Conclusion pour les éditeurs de JdR

Peut-on imaginer qu'un éditeur de JdR ou qu'un auteur prétende réguler, sur l'un ou l'autre des fondements évoqués supra, des parties de démonstration en convention ou bien des diffusions de parties filmées ?

Cela ne semble pas inconcevable, car il est dans l'intérêt des éditeurs de réguler la communication autour de leurs créations ludiques. Un éditeur pourrait ainsi vouloir éviter qu'une partie filmée donne un exemple contraire à l'image que l'éditeur veut donner de son jeu, ou qu'un MJ fasse jouer en convention un scénario qui révèle des secrets essentiels de l'univers de jeu (ce qui risquerait de faire baisser l'appétence des acheteurs potentiels pour le livre d'univers contenant ces secrets).

La qualification de la partie de JdR par le droit d'auteur permet un tel contrôle a priori de la divulgation hors du cercle de famille des éléments importants de l’œuvre originelle via les représentations et œuvres dérivées, en obligeant les divulgateurs potentiels de la représentation ou de l’œuvre composite à obtenir une autorisation préalable.

Cependant, à n'en pas douter, l'encadrement strict de cette pratique aboutirait sans doute à un déficit d'image considérable pour l'éditeur concerné : le marché du JdR est un marché de niche dont les pratiquants ne sont pas assez nombreux.

Dès lors, seuls de très gros éditeurs comme Hasbro par exemple pourraient se permettre ce type d'intervention, en refusant par exemple son agrément à la diffusion de parties de Donjons & Dragons 5e édition abordant des thématiques sexuelles fortes, ou en refusant son autorisation à des scénarios de démonstration autres que ceux spécifiquement prévus par cet éditeur, ou encore en exigeant un niveau de qualité / d'expérience / charisme minimal pour le MJ.

Conclusion pour les participants des parties de JdR divulguées au public

Les différentes qualifications juridiques possibles d'une partie de JdR aboutissent au constat que des droits d'auteur (de nature tant morale que patrimoniale) et/ou des droits voisins naissent presque inévitablement au profit de ses participants dès la première matérialisation d'un apport créatif de leur part.

Corollaire de cette naissance de droits, la faculté de revendiquer le bénéfice de leur exploitation : il n'est pas inenvisageable pour un joueur d'une partie filmée d'exiger, selon la qualification juridique retenue, que la diffusion de cette partie respecte son droit voisin d'artiste-interprète, respecte l'exercice de son droit moral d'auteur (droit à voir son nom apposé sur le vidéogramme), voire, si ce ne s'agit pas d'une œuvre collective, que le vidéogramme ne soit pas du tout divulgué à moins qu'il ne lui soit versé une part de rémunération proportionnelle à son apport créatif sur la base des bénéfices d'exploitation du vidéogramme.

Sur la base de ces constats, la démarche qui semble émerger d'elle-même consiste, pour les organisateurs de parties filmées ou de parties de démonstration publiques, à prévoir une contractualisation (qui n'a pas besoin d'être très longue ni complexe et qui peut pour les parties filmées s'inscrire dans le cadre de la gestion du droit à l'image) entre les différents participants afin d'articuler les différents droits d'auteur et droits voisins qui naîtront dans le cadre de la partie.

On peut ainsi imaginer que les participants s'accordent pour céder, de manière exclusive ou non, leurs droits au MJ, à l'un des participants, ou à une association tierce dès avant la partie, afin que ce cessionnaire puisse se trouver seul titulaire des droits et en charge de leur exploitation (bien entendu en faisant attention de ne pas tomber dans le cas de l'article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que "La cession globale des œuvres futures est nulle").

Évidemment, de nouvelles questions émergent : Comment rédiger de tels accords ? Est-ce que les licences Creative Commons ou de Youtube peuvent s'appliquer valablement à des parties filmées basées sur des contenus eux-mêmes sous licence ludique libre OGL 0.1a ? Faudrait-il prévoir une licence dans tous les ouvrages de JdR ? Qu'y faire figurer ?

Ces nouvelles questions dépassent très largement l'objet du présent article, qui n'est après tout qu'une réflexion juridique sur les qualifications juridiques possibles d'une partie de JdR.

Dans l'hypothèse où vous m'auriez lu jusqu'au bout je me permets de vous adresser mes félicitations pour avoir supporté une telle quantité de prose amphigourique et assommante.

MISE À JOUR : Et si aucune qualification juridique ne peut être retenue, que se passe-t-il ? C'est l'objet de ce nouveau billet.

Commentaires

1. Le mercredi 9 janvier 2019, 17:27 par Pascal

Excellent billet clair et complet sur un sujet complexe!! Je suis en train de faire une étude sur les pratiques de citation dans les jeux de rôle sur table et ton essai m'aide beaucoup.

Pascal https://jdr.hypotheses.org/

2. Le mercredi 9 janvier 2019, 18:15 par LS

@Pascal

De rien. Y a-t-il une problématique particulière sur le traitement des citations qui ne vous semble pas traitée dans l'article ?

3. Le samedi 12 janvier 2019, 14:43 par Mithriel

Je me pose une question sur un détail de la partie Qualification juridique d'une partie de Jeu de rôle, qui indique : "Le public de cette représentation est constitué : au minimum des différents participants, chaque joueur étant public du MJ et des autres joueurs, le MJ étant également public des improvisations et initiatives des joueurs ;". Ce point n'est, sauf erreur de ma part, pas présent dans l'analogie avec une représentation théâtrale précédente. Les acteurs sont-ils aussi considérés comme membres du public ? Ça me semble contre-intuitif, c'est pourquoi j'aimerais en savoir plus.

4. Le samedi 12 janvier 2019, 16:25 par LS

@Mithriel

Dans le raisonnement par analogie avec la pièce de théâtre, je suis parti du principe que les comédiens n'étaient pas le public et n'en faisaient pas partie. En effet, les comédiens sont moins dans une position de récipiendaires de l'interprétation de l'œuvre que dans celle des exécutants de la représentation. Ce postulat est possiblement critiquable pour le théâtre d'improvisation, où au final aucun des comédiens ne sait exactement ce que les autres vont faire / interpréter.

La notion de public d'une partie de JdR sans observateurs extérieurs est au final assez délicate, car cela a une conséquence sur la notion même de divulgation de l'œuvre : si il n'y a pas de public, l'œuvre n'est pas divulguée. Il faut donc que les différents participants puissent être considérés comme un public afin que la divulgation de l'œuvre (si œuvre il y a) puisse être constatée.

Beaucoup de "si" et d'hypothèses, peu de réponses : c'est bien une question doctrinale.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet