[Tactique de maîtrise] Les trois états du joueur

Actif, Réactif, ou Inactif. A chaque instant dans une partie de jeu de rôle, un joueur donné se trouve dans l'un de ces trois états de réceptivité au déroulement de la partie. Le présent billet a pour but de vous éclairer quant à ces états, leurs conséquences sur la manière de maîtriser une partie de jeu de rôle, et les techniques qui permettent de maintenir le plus longtemps possible les joueurs dans un état de réceptivité accru.

L'interprétation de leur personnage-joueur et la mise en œuvre des règles sont les principaux vecteurs via lesquels les joueurs vont influer sur le déroulement de l'intrigue d'une partie de jeu de rôle.

Les notions d'Actif, Réactif ou Inactif représentent l'état psychologique du joueur (la personne physique, et non le personnage) par rapport aux événements qui sont en train de se produire dans l'espace partagé imaginaire de la partie. Ces états s'articulent précisément avec l'influence créative que le joueur, via ses propres descriptions ou bien via les règles, est ou non en train d'exercer sur le déroulement de la partie.

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Actif

Un joueur est dans un état actif lorsque la narration est focalisée sur son personnage. Le joueur actif est en train de parler, décrire ou interpréter son personnage ou ses actions, lancer les dés, calculer des dégâts, ou encore écouter une description faite par le meneur des conséquences de ses propres décisions.
L'état Actif correspond donc peu ou prou à l'exercice effectif de son temps de parole par un joueur.
Comme le jeu de rôle est pour l'essentiel un jeu de dialogue, où les participants ne parlent et n'agissent pas simultanément (en tant que joueurs), un seul et unique joueur à la fois peut se trouver "sous le feu des projecteurs".
Par ricochet, cela signifie que si l'un des joueurs est actif, aucun des autres joueurs ne l'est simultanément : tous les autres joueurs sont donc soit réactifs, soit inactifs.
Citation typique : "Messieurs, par pudeur, reculez devant un tel outrage : Tybalt ! Mercutio ! Le prince a expressément interdit les rixes dans les rues de Vérone."

Réactif

Un joueur est dans un état réactif lorsqu'il se tient prêt à intervenir dans la narration. Le joueur est très attentif à ce qui est en train de se passer dans la partie, et se trouve en "écoute active". Il se prépare à décrire les actions ou interpréter les paroles de son personnage en réaction à la situation, à interrompre une description faite par le meneur ou un autre joueur. Dans des jeux à "tour d'initiative", c'est bientôt à lui. Il n'est pas "sous le feu des projecteurs", mais peut ou va le devenir à tout moment.
Pour autant, le joueur réactif est tout aussi investi dans la partie que le joueur actif : il doit rester concentré pour intervenir à bon escient, anticiper les paroles, faits et gestes des autres personnages-joueurs pour gérer les risques et maîtriser les conséquences.
Citation typique : (interrompant le dialogue entre meneur et le joueur actif) "J'ÉCLATE TYBALT D'UN COUP D'ARBALÈTE +3 !"

Inactif

Un joueur est dans un état inactif lorsqu'il n'est pas attentif au déroulement de la partie. Il a "décroché" et ne s'intéresse pas à ce qui est en train de se produire dans l'espace partagé imaginaire. Il ne se prépare pas à intervenir via son personnage ou les règles.
Souvent, il est en train de lire les règles, une BD, ses e-mails, jouer sur son smartphone, ou s'assoupir. Il n'est pas "dans la partie", et il y a de bonnes chances que ce qui est en train de produire dans la partie l'ennuie, puisqu'il ne se sent manifestement pas concerné par ce qui est en train de se dérouler pour les autres joueurs.
Lorsque c'est son tour de devenir actif, il est le plus souvent contraint de prendre quelques secondes (voire plus) pour se faire réexpliquer le contexte et pouvoir à nouveau "rentrer" dans la narration.
C'est également ici que l'on comprend le vrai problème du téléphone mobile - lorsqu'un joueur répond à un message ou à un appel sur son téléphone mobile, il bascule instantanément vers l'état inactif, avec toutes les conséquences immédiatement délétères pour son immersion dans la partie.
Citation typique : "Attends, j'comprends pas, on est où, là ? C'est qui, le mec que tu veux éclater, déjà ?"

Les délais de bascule

Au cours de la partie, chaque joueur passe successivement de l'un de ces états à un autre, à tour de rôle.

Cette bascule de chaque état vers le suivant est naturelle. Après que le meneur de jeu soit passé au joueur suivant, le joueur jusqu'ici actif va basculer vers l'état réactif car ce n'est plus à lui d'être sous les feux de la rampe.

Le délai avant cette bascule de l'état actif à l'état réactif est d'environ 2 à 3 secondes, le temps que le joueur prenne la mesure de l'action qu'il vient d'entreprendre et s'aperçoive qu'il n'est plus "le héros de l'histoire" pour le moment.

Devenu réactif, le joueur va rester concentré sur la situation pendant une poignée de secondes, focalisé sur l'influence de ses derniers faits et gestes sur la situation des autres joueurs et le déroulement de l'intrigue, prêt à rebondir sur ses propres actes et paroles et y apporter des précisions si nécessaire.
En moyenne, le temps de concentration d'un joueur réactif est de 30 secondes. Certains joueurs sont plus attentifs, d'autres moins : cette durée variera selon les personnes et selon les situations en jeu (notamment si les "unités" sont maintenues : voir ci-après la section sur la règle des trois unités).

À l'issue de cette période de réactivité, le joueur va basculer vers l'état inactif, pour une durée indéterminée, jusqu'à ce que ce soit de nouveau son tour de devenir actif.

Schématiquement, le cycle de parole et de changement d'état fonctionne comme suit :

Les enjeux des trois états

Tout l'intérêt de connaître et de comprendre ces trois états est d'optimiser le plaisir et le niveau de divertissement des joueurs.
En effet, le temps d'une partie de jeu de rôle étant par nature limité, le temps de parole de chaque joueur est limité également. Plus il y a de joueurs, et plus ce temps de parole devra être divisé entre les participants. Si les joueurs se divisent en plusieurs groupes, le meneur de jeu devra également diviser ses descriptions en fonction de chaque groupe, aboutissant à diminuer encore le temps de parole effectif des joueurs.

Forcément, chaque joueur a donc un intérêt à parler et agir le plus souvent possible, et que ces périodes soient les plus longues possibles. Ainsi, alors que le jeu de rôle est en temps normal coopératif entre les personnages-joueurs, les joueurs eux-mêmes sont en compétition les uns avec les autres, sinon pour interpréter le héros de la partie, du moins pour se sentir valorisés dans leurs paroles, décisions et actions.
Les joueurs veulent se sentir actifs, apprécient de rester réactifs, et tolèrent mal de demeurer inactifs.

L'objectif du meneur de jeu, selon toute vraisemblance, consistant à se divertir tout en divertissant tous les joueurs, le moyen de l'accomplir implique nécessairement de maintenir le plus longtemps possible chaque joueur dans un état d'investissement accru dans la partie, à savoir un état actif ou à défaut réactif.

Or, comme un seul joueur peut se trouver actif à chaque instant de la partie, le meneur de jeu doit trouver un expédient pratique pour que tous les autres joueurs restent dans un état réactif et ne basculent jamais à l'état inactif.

Les deux voies sont l'accélération du tour de jeu, et la règle des trois unités.

Accélération du tour de jeu

La première voie est la plus naturelle et la plus évidente à mettre en œuvre.

Elle consiste à passer très vite d'un joueur à l'autre afin de les faire intervenir le plus souvent possible, de manière à revenir à chaque joueur en 33 secondes (cette durée est celle constatée par l'auteur comme constituant la durée moyenne de concentration d'un joueur non actif - cette durée varie selon les personnalités et facultés des individus, leur forme, leur état de santé ou de fatigue, etc.).

Or, un échange entre un joueur et un meneur de jeu requiert environ 10 à 15 secondes, si ce n'est plus avec certains joueurs indécis. À 4 joueurs et un meneur, ce dernier devra impérativement s'assurer que chaque interaction avec un joueur dure au maximum 11 secondes, chronomètre en main. A 5 joueurs et un meneur, les interactions ne doivent pas dépasser 8 secondes !

Par conséquent, cette tactique est souvent moins efficace dès que les joueurs sont 4. À 5 joueurs et plus, elle devient impraticable.

Même à trois joueurs, cette tactique implique une discipline extrêmement rigoureuse pour le meneur de jeu, tandis que les joueurs doivent être en mesure de penser, réagir, décider, et énoncer leur action de manière très rapide. Les meneurs de jeu imposant un tel rythme aboutissent à des parties extrêmement intenses mais également éprouvantes en termes d'énergie pour eux-mêmes comme pour les joueurs.

Il est donc difficile pour ne pas dire déraisonnable de maintenir une telle vitesse de tours de jeu sur toute la durée d'une partie.
Généralement, le meneur tacticien préférera imposer ces accélérations lorsque les événements de l'espace partagé imaginaire ne permettent pas aux personnages de mener de longues réflexions.

Afin d'économiser leurs forces et d'accélérer les tours de jeu, les meneurs utilisent en général quelques astuces :

Initiative changeante

Uniquement applicable dans les jeux "à initiative", cette technique consiste, au prix d'une petite perte de temps commune au début de chaque tour de jeu, à faire relancer l'initiative à la totalité des personnages.

Ceci mitige les bons comme les mauvais jets d'initiative, et rend les successions d'actions plus dynamiques que le jeu de l'oie où chacun sait précisément quand il va agir.

L'inconvénient de cette astuce est qu'elle contraint le meneur à se remémorer un ordre de jeu différent à chaque tour de jeu - ce qui peut être déstabilisant et constitue encore une perte d'énergie.

Compte à rebours

La deuxième astuce qui se prête très bien aux scènes d'action consiste à donner un temps extrêmement limité au joueur pour faire parler ou agir son personnage.

Quand le tour vient de passer au joueur, le meneur de jeu lui explique la situation en quelques secondes, et compte à rebours en montrant sa main au joueur et en repliant ses doigts. Si le joueur n'est pas parvenu à faire parler ni agir son personnage de manière cohérente avant que le dernier doigt ne soit replié, le personnage aura perdu son tour, paralysé par l'indécision.
Le meneur passe alors immédiatement au joueur suivant.

Certains joueurs pourraient protester contre le fait qu'ils se sont mis à parler au moment où le meneur repliait son dernier doigt et passait au joueur suivant. C'est l'occasion pour le meneur d'augmenter encore la pression, en prenant en compte cette action, mais en précisant la chose suivante : "J'accepte exceptionnellement que tu agisses sur le fil, mais ce n'est pas juste pour les autres qui n'auront plus cette chance du reste de la partie. C'est donc la première et dernière fois que j'accepte une telle action."

L'inconvénient majeur du compte à rebours est qu'il ne se prête que peu à des scènes de dialogue ou d'enquête - il est conçu pour des scènes dans lesquelles se produisent une succession rapide d'événements et actions.

Conséquences différées

Une troisième astuce, qui se prête aussi bien aux scènes d'action qu'aux scènes un peu plus calmes, consiste pour le meneur à différer sa description des conséquences des paroles et gestes des personnages des joueurs jusqu'au tour suivant de chaque joueur.
Certes, les dés ont été lancés, le résultat chiffré de l'action est connu par le meneur et par le joueur, mais la narration s'est arrêtée avant.
A chaque fois qu'il revient vers un joueur, c'est seulement à ce moment-là que le meneur précise les conséquences de l'action précédente du joueur.

Cette technique a deux avantages non négligeables :

  1. Elle rallonge légèrement la durée de l'état actif du joueur et aide à le maintenir réactif. Ne connaissant pas immédiatement les conséquences des actes de son personnage, le joueur est laissé dans un état de "cliffhanger" à chaque tour de jeu et est contraint de se projeter dans son action suivante selon les conséquences qu'il anticipe en parallèle de la gestion des joueurs suivants par le meneur de jeu. Conséquence supplémentaire : le joueur jouera probablement plus rapidement au prochain tour.
  2. Elle laisse au meneur un peu plus de temps pour réfléchir aux conséquences des actions de chaque personnage avant de revenir vers son joueur.

Inconvénients de cette astuce :

  1. Celle-ci contraint le meneur à un effort de mémoire pour se souvenir précisément des actes de chaque personnage à chaque tour ;
  2. En outre, les joueurs très concentrés sur l'issue de leur action précédente et occupés à anticiper leurs prochaines actions peuvent parfois négliger d'écouter ce qui se passe autour de la table et commettre des erreurs.

L'axe d'accélération des tours de jeu, qui est la solution la plus logique pour maintenir les joueurs dans les états Actif et Réactif est donc une voie efficace mais :

  1. Coûteuse en énergie et en concentration pour le meneur de jeu, et éprouvante pour chaque joueur qui est soumis à une forte tension lorsqu'il devient actif ;
  2. Très difficilement applicable dès que les joueurs sont plus de trois, sauf à ce que le meneur et les joueurs soient en mesure de s'astreindre sur la durée à la discipline que requiert cet axe.

Schématiquement, le meneur force tous les joueurs à rester dans la zone "réactive" (en vert) du cycle de parole par l'accélération des échanges, au prix d'une dépense très importante d'énergie. Ainsi, avec 4 joueurs :

Il existe une autre voie, complémentaire de l'accélération des tours de jeu, moins coûteuse en termes d'effort pour le meneur de jeu, qui est basée sur une forme de mutualisation des narrations individuelles.

Cette voie utilise une règle bien connue des gens de théâtre : la règle des trois unités.

La règle des trois unités

En théâtre classique, la règle des trois unités permet de ramasser l'intrigue, de rendre la narration dense et efficace pour que le spectateur demeure intéressé par la pièce.

Pour rappel, les trois unités sont les suivantes :

  1. unité de temps
  2. unité de lieu
  3. unité d'action

Transposée au jeu de rôle, la règle des trois unités accomplit précisément les mêmes objectifs qu'elle réalise en théâtre, de capter et de maintenir l'attention du joueur-spectateur, avec cependant un assouplissement.

La partie de jeu de rôle a en effet cette particularité que son spectateur appartient à un public captif et bienveillant, qui est en outre également acteur de l'intrigue. Capter son attention et le maintenir dans l'état réactif est donc beaucoup plus facile que pour un public critique et non investi.
Cependant, le joueur à la fois acteur et public attend que ses actes influent sur l'intrigue générale et celle des autres participants, et que les actes des autres participants influent sur l'intrigue de son propre personnage. En clair, il souhaite demeurer réactif, pouvoir agir et intervenir quand bon lui semble dans ce qui arrive aux joueurs "sous le feu des projecteurs".
Il n'apparaît pas praticable d'imposer systématiquement les trois unités en jeu de rôles, deux s'avérant par expérience suffisantes.
Si le meneur de jeu est contraint de se passer de l'une de ces trois unités, alors il lui est indispensable de conserver les deux autres unités entre le joueur actif et les autres joueurs afin de les maintenir dans un état réactif.

Deuxième axe de la gestion des états des joueurs, cette tactique des trois unités ne prive nullement le meneur de jeu de la possibilité d'accélérer les tours de jeu. En revanche, elle lui permet d'économiser ses efforts pour maintenir les joueurs non actifs dans un état réactif.

Unité de temps

L'unité de temps dans une partie de jeu de rôles est symbolisée par l'équivalence de l'écoulement du temps pour chaque personnage.
Le temps de jeu est flexible : une succession d'événements rapides prendra plus de temps à narrer et à jouer qu'un seul événement d'une durée plus longue - par exemple, un combat prendra plusieurs tours de jeu, alors qu'un voyage de trois semaines prendra juste une phrase : "Trois semaines plus tard, vous arrivez en vue du port de Saint-Malo".
Faire circuler le temps d'une manière différente pour des personnages-joueurs différents casse la cohérence temporelle entre ceux-ci, et remet en cause l'unité de temps. Si l'un annonce qu'il passe quelques heures à étudier un ouvrage, et que les autres décident qu'ils vont attaquer un convoi dès les prochaines secondes, alors le joueur du personnage plongé dans sa lecture va rester, par la force des choses, inactif pendant toute l'attaque du convoi - et probablement bien après.

Comment la maintenir ?

Maintenir l'unité de temps dans l'hypothèse ci-dessus implique pour le meneur de jeu de trouver un expédient afin qu'une succession d'événements se déroule à la même vitesse pour le joueur dont le personnage souhaitait passer du temps à lire un livre.
Dans l'exemple ci-dessus, le meneur de jeu pourra distiller progressivement les informations utiles recueillies par le lecteur, de tour de jeu en tour de jeu. Un meneur habile pourra même glisser dans ces informations des révélations essentielles (et dangereuses) sur le convoi que les autres personnages se préparent à attaquer, voire sont déjà en train d'attaquer.

Unité de lieu

L'unité de lieu est peut-être l'unité la plus facile à appréhender, puisqu'elle est directement liée à l'une des hantises des meneurs de jeu : la séparation des personnages-joueurs en plusieurs groupes, ce qui multiplie les points de vue et les descriptions contextuelles, et diminue d'autant les temps effectifs de jeu des uns et des autres.
Dans l'exemple plus haut, le personnage qui souhaite lire un livre ne le fait probablement pas au beau milieu de l'attaque du convoi, mais plus probablement à la bibliothèque. Le lieu d'activité des personnages étant différent (la route pour les uns, la bibliothèque pour l'autre), il n'y a ici pas d'unité de lieu.

Comment la maintenir ?

Maintenir l'unité de lieu est aussi simple que de faire en sorte que les personnages ne se séparent pas physiquement en plusieurs groupes, ou, s'ils le font, que cette séparation physique n'empêche pas de les considérer comme dans un même lieu (par exemple un même hôpital bien que les chambres et étages soient différents, ou une même base spatiale, une même ville, etc), afin que l'unité de lieu participe à maintenir les joueurs non actifs dans un état de réactivité, dans la mesure où ils partagent le lieu où se déroule l'action du joueur actif.

Unité d'action

Selon la règle de l'unité d'action, tous les événements doivent être liés et nécessaires jusqu'au dénouement de l'intrigue, les actions accessoires devant contribuer à l’action principale.
Transposée au jeu de rôle, cela signifie que toute action d'un personnage-joueur doit avoir - potentiellement - une influence sur la situation immédiate (et donc les actions subséquentes) des autres personnages-joueurs.
Dès lors que le meneur de jeu s'efforce de maintenir l'unité d'action, il maintient les joueurs non-actifs dans un état de réactivité parce que leurs prochaines actions apparaissent conditionnées par les actions des autres personnages-joueurs.

Comment la maintenir ?

Maintenir l'unité d'action peut sembler plus complexe à première vue pour un meneur novice, car elle requiert la mise en œuvre de ses facultés d'improvisation et a un impact plus important sur l'intrigue.
De manière pratique, le meneur souhaitant maintenir l'unité d'action doit, pour chaque action entreprise par un joueur, immédiatement imaginer et introduire dans sa narration (immédiatement ou non selon qu'il a recours à l'astuce des "conséquences différées" ou non), une conséquence directe ou indirecte de cette action sur la situation d'un ou plusieurs des autres joueurs.
Ceci force nécessairement chaque joueur à demeurer concentré et attentif aux actes du joueur actif s'il veut continuer d'interagir efficacement avec l'intrigue via son personnage.
Dans l'exemple ci-dessus des informations livresques à propos du convoi attaqué par les autres joueurs, le meneur de jeu pourrait trouver un expédient pour que les personnages se trouvent en contact. Par exemple via un cristal de communication, un téléphone mobile, un Service de Mortification Subite (le texto nécromantique qui s'imprime dans la chair du destinataire) ou autre, permettant au lecteur d'influer directement sur l'action, en bien comme en mal. Le téléphone mobile qui se met à sonner juste avant l'embuscade est un grand classique...

De quelle unité se passer ? Quelles unités maintenir ?

La quasi-totalité du temps, ce sont les joueurs qui vont d'eux-mêmes briser l'une des trois unités.
Le groupe se sépare ? L'unité de lieu est brisée.
L'un des joueurs décide que son personnage enquête tandis que les autres dorment pendant nuit ? C'est l'unité d'action qui est atteinte.
L'un des joueurs veut faire faire trois mois d'études intensives du haut-syldave à son personnage pendant que les autres joueurs entendent se contenter d'un livret de conversation basique ? C'est l'unité de temps qui est menacée.

La réaction du meneur doit donc être automatique : dès que l'une des trois unités est menacée (ou brisée) par les actions d'un (ou plusieurs) joueur(s), le meneur doit tout mettre en œuvre pour conserver constantes les deux autres unités, quitte à altérer la structure de la narration, afin que les joueurs non actifs soient maintenus à l'état réactif.
S'il n'y parvient pas, et qu'une deuxième des trois unités est menacée (ou brisée), le meneur dispose du délai standard (de 30 secondes en moyenne) pour rétablir au moins deux des trois unités avant que le dernier joueur ne bascule de l'état réactif à l'état inactif.
Dans cette hypothèse, le choix des unités à rétablir appartient en totalité au meneur de jeu.

Cependant, le meneur doit être conscient que chaque perte de l'une des trois unités a le plus souvent une cause narrative dans l'intrigue de la partie. Tant que cette cause n'a pas disparu ou n'a pas évolué suite aux actions des joueurs, il est probable que l'unité brisée ne puisse pas être rétablie ou seulement temporairement. Dans ce cas, le meneur devra passer via d'autres moyens de maintenir la réactivité des joueurs, jusqu'à ce que le nœud narratif soit résolu et lui permette de rétablir au moins deux unités sur les trois.
Il pourra ensuite concentrer ses efforts sur le rétablissement de la troisième unité, mais ce n'est pas nécessaire et les joueurs pourraient ressentir cette cohésion forcée comme une limitation de leur champ d'action, ce qui n'est pas souhaitable.

Schématiquement, le meneur ne contraint plus les joueurs à rester en zone "réactive" (en vert dans le cycle de parole), mais s'efforce de maintenir deux unités pour les joueurs se trouvant en zone "inactive" (en jaune orangé), Dans l'exemple ci-dessous, l'un des joueurs se retrouve inactif car les deux unités n'ont pas été maintenues pour son personnage pendant plus de 30 secondes :

Conclusion

Les outils présentés dans ce billet permettent, au cours d'une partie de jeu de rôle, d'augmenter l'intensité de l'action en maintenant artificiellement les joueurs dans un état de concentration accru. Il faut néanmoins prendre garde à ce que la partie demeure un plaisir et un divertissement, et non une contrainte pour les joueurs.
Pour cela, le plus efficace est de faire des pauses toutes les deux heures, destinées à reposer l'esprit des participants. Le meneur de jeu pourra en profiter pour reposer sa gorge endolorie, pour mettre à jour son Tableau Holistique d'Analyse Conceptuelle et Organisationnelle grâce aux derniers faits et gestes des personnages, et pour anticiper les scènes suivantes dans l'intrigue.

Commentaires

1. Le vendredi 30 décembre 2016, 02:45 par Ratinox

Très bien cet article, merci. Cela pose sur le papier des choses que l'on fait plus ou moins instinctivement en temps que MJ.

2. Le jeudi 12 janvier 2017, 09:27 par Yellow

Moi je trouve ça très intéressant, et très rigolo, mais difficilement applicable. J'imagine bien notre MJ, chrono en main, passant sans sourciller d'un joueur à un autre toutes les 10 secondes ! C'est faisable, et ça a été fait (je pense à certaines parties que j'ai jouées, mais aussi à Pi de Donjons et Jambons sur Youtube qui fait ça très bien), mais ce n'est pas tenable sur un temps long. Il faut réserver cette intensité à des moments précis dans la partie : scène de combat ? Scène scénaristiquement importante ?

J'ajouterai que c'est une vision un peu pessimiste des joueurs de jdr, non ? Sans que notre MJ maintienne un rythme extrême, et sans être tous le joueur actif, bien sûr, on ne devient pas inactif pour autant. La plupart du temps, je pense que nous sommes dans un stade entre l'inactif et le réactif : j'écoute les autres et ce qu'ils font (même si mon personnage n'est même pas présent dans la scène), et je profite du plaisir de voir la narration se dérouler sous mes yeux. Pour reprendre Eugénie de "Je ne suis pas MJ mais", je suis sur le banc : même si je ne suis pas forcément prêt à réagir, je reste dans le jeu, attentif.

J'imagine que cela dépend des attentes des joueurs ; pourquoi je joue ? Pour construire une histoire à plusieurs ? Pour voir ce qu'il va se passer ? Pour me retrouver avec des potes et déconner en buvant de la bière ? Pour créer un personnage réaliste ? ...

Mais en tous cas je garde ton article sous le coude pour le partager, parce que je trouve que tu soulèves des éléments très intéressants ;)

3. Le lundi 13 mars 2017, 09:47 par LS

Je réponds avec un peu de retard, parce que j'ai été quelque peu pris ces derniers temps.

"Difficilement applicable" ? Au contraire, je parie que la plupart des meneurs de jeu ressentent inconsciemment cette nécessité de passer rapidement d'un joueur à un autre, et l'appliquent déjà. Ce qu'il faut garder à l'esprit, ce qui - j'en conviens - n'est pas forcément très clair dans le billet, c'est qu'il est très rare que les joueurs ne soient pas reliés par au moins deux unités. La nécessité de passer de chaque joueur à chaque joueur en moins de 10 secondes n'est une nécessité que lorsqu'aucun des personnages n'est relié par deux unités (en clair, le groupe s'est totalement séparé).

Pour le fait de réserver la narration accélérer à des phases particulières, je ne dis pas autre chose dans l'article.

Enfin, l'état que tu décris, à savoir écouter ce que font les autres et en retirer du plaisir est soit un état inactif si ton personnage ne peut pas intervenir et n'est pas affecté dans la narration, soit un état réactif si ton personnage peut intervenir et/ou est affecté par la narration. Ça n'a pas de rapport avec le plaisir qu'on peut retirer de l'écoute d'une partie avec les copains mais - je vais parler pour moi-même - je préfère franchement l'interactivité du JdR à la passivité du spectateur si celle-ci doit se prolonger : donc l'état réactif me sied mieux que l'état inactif si le joueur actif doit le rester plus de 10 minutes.

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