[Aide de jeu] Créer un univers de jeu de rôle : prérequis et méthodes

Ce billet présente des considérations méthodologiques pour la création d'univers de jeux de rôle, qui auraient dû - mais n'ont hélas pas pu - être présentées en détail dans la table ronde sur la création d'univers lors du Festival Au-delà du Dragon qui s'est déroulé à Montpellier les 18 et 9 mars 2017.
Elles sont fournies ici à titre de référence et de complément, pour tout créateur potentiel d'univers de jeu de rôle qui souhaiterait en prendre connaissance.

La création d'univers implique une démarche intellectuelle qui ne requiert pas nécessairement la création d'un jeu. Ainsi Margaret Weis et Tracy Hickman ont conçu l'univers de Dragonlance sur la base de leurs propres scénarios de JdR - sans modifier les règles de D&D.

En revanche, il n'est pas possible de nier l'interaction entre univers et règles de jeu. Les deux se nourrissent l'un l'autre pour une raison de connexité très simple : les règles se veulent une simulation d'une certaine réalité, et l'univers se veut la description plus ou moins littéraire cette même réalité.

Les prérequis

La fibre créative

Le premier de ces pré-requis est tout simplement d'avoir la fibre créative, l'envie de créer un univers, de le concevoir. Le mérite, la qualité du résultat sont indifférents puisque l'acte créateur renferme sa propre récompense en lui-même.

Le point délicat n'est pas dans le fait de se lancer dans la création d'univers, mais dans le fait de choisir de divulguer l'univers à autrui. Divulguer sa création, c'est se confronter à ceux qui vont s'emparer de cet univers, prendre le risque du jugement, de la critique, de la remarque trollesque, et au pire de l'indifférence. Les joueurs de son propre groupe sont la plupart du temps bienveillants, mais les tiers peuvent avoir des attentes différentes que le créateur d'univers peut n'avoir pas anticipées.

Le talent et/ou le recul

Dans cette optique, le deuxième pré-requis à l'acte créateur d'univers devient à mon sens d'avoir suffisamment de talent pour éviter la critique ou à défaut suffisamment de recul et d'autodérision pour la supporter et en prendre son parti (et améliorer ce qui peut l'être).

La conscience des particularités du JdR

Le troisième pré-requis est la conscience constante et aiguë que l'univers d'un jeu de rôles n'est pas l'univers d'un roman ou d'un film.

C'est le cadre d'une fiction incomplète, qui ne sera complétée que quand meneur et joueurs se seront emparés du cadre de jeu. Indiquer, dans le background d'un jeu, que mille ans avant la période de jeu, les rois-dragons portaient une couronne de 3 pouces de haut n'a d'intérêt que si ce détail revêt un véritable enjeu narratif, déterminant pour l'évolution ou la survie des personnages du jeu. Si ce n'est pas le cas, ce détail n'a absolument aucun intérêt en pratique sinon satisfaire l'ego du créateur.

Pour la même raison, un univers de jeu n'appartient pas à ses créateurs, mais à ceux qui en sont les récipiendaires : les lecteurs, les joueurs, les meneurs.

L'apport de l'univers

Le quatrième pré-requis est : cet univers doit apporter quelque chose que les autres univers n'apportent pas. Un univers qui se limite à renommer les elfes et les nains et à changer des détails cosmétiques ("ah non, mon univers est totalement original et n'a rien à voir avec le monde de Greyhawk. Il n'y a pas d'elfes. En revanche, il y a les faës, êtres minces et agiles qui aiment la nature, ont des oreilles pointues, ont une affinité avec la magie, et vivent très longtemps.") n'a a priori que peu d'intérêt tant pour les joueurs que les MJ potentiels. Cet écueil peut sembler surmonté si les intrigues que propose cet univers se révèlent plus intéressantes : mais on sort dans ce cas de la création d'univers pour discuter de la création de scénario / d'intrigue. En effet, ces intrigues palpitantes auraient très bien pu se dérouler dans l'univers originel (sous réserve des questions de droits d'auteur et des notions d’œuvres dérivées).

À l'inverse, un univers dont les thématiques apparaissent inédites (sans qu'elles le soient nécessairement : bien prétentieux celui qui croit connaître tous les JdR existants, même les vieilleries perdues du fin fond des cales du GROG. Ainsi, pour la sortie de Hellywood, ou de the Edge of Midnight, qui s'est souvenu de l'ancêtre BloodShadows ? Pas grand monde, et ça n'a pas beaucoup d'importance au final) pourra apparaître plus "intéressant".

Création d'un univers à plusieurs

La difficulté principale de la création commune consiste en la nécessité de dépasser l'opposition des contraires sur la totalité des points de l'univers à créer. Si des créateurs ont une sensibilité divergente sur un aspect de l'univers qu'ils créent, comment résoudre cette divergence ? Soit l'un cède, soit ils trouvent une autre idée, soit - plus délicat - ils parviennent à faire passer leurs deux idées à la fois via une synergie.

Les deux premières options ont pour la première l'avantage de la rapidité, pour la deuxième, l'avantage du compromis.

Elles ont aussi des inconvénients. La première a pour inconvénient le risque de disparition d'une idée au final meilleure que celle retenue (car ce ne sont pas toujours les meilleures idées qui sont gardées dans une création commune, mais souvent celles que leur auteur a suffisamment de personnalité pour imposer) - au risque d'affadir l'univers de jeu, de le rendre moins original, moins riche.

La deuxième a pour inconvénient la création d'un dénominateur commun, qui implique une tendance à l'uniformisation, puisque seules les parties d'idées partagées par les auteurs vont survivre au débat créatif.

C'est la troisième option qui est évidemment la plus profitable au groupe de créateurs, mais la création d'une synergie requiert de rebondir sur les idées les uns des autres pour faire émerger de nouvelles choses - et donc d'accepter l'évolution de ses propres idées. L'ego est donc nécessaire pour avoir envie de créer, mais les créateurs en commun doivent être en mesure de dominer leur propre envie d'imposer leur vision de l'univers pour permettre à une création commune d'émerger de manière synergistique. Cet acte de synergie créatrice est relativement simple à organiser, à tel point que des gens en ont fait des jeux.

Ainsi, Panthéon de Robin D. Laws, publié chez Hogshead Publishing, jeu de rôle narratif où les joueurs interprètent des dieux présidant à la construction d'un univers, ou encore le jeu (mais pas de rôle) au principe proche Dawn Of Worlds (gratuit).

Ce dernier jeu est particulièrement intéressant, dans la mesure où il s'agit de la transposition ludique de l'acte de création d'univers med-fan, destiné à un groupe de joueurs et leur meneur de jeu. Au cours d'une partie de Dawn of Worlds, les participants deviennent les démiurges de leur propre monde de jeu. Il s'agit donc d'une création commune d'univers mise sous la forme d'un jeu dont les règles encouragent la synergie.
Chaque élément de l'histoire du monde est créé par un participant à tour de rôle, y compris la carte du jeu, au prix d'un certain nombre de points. Chaque participant influence la création d'un univers entier au cours de quelques heures de jeu.

Une fois l'univers créé, il est connu de tous les participants, ce qui leur permet de créer des personnages, et de jouer dans cet univers.

Les méthodes de création d'un univers de jeu de rôles

Plusieurs écoles s'affrontent, mais il n'y a pas de bonne ou mauvaise méthode, tant que l'objectif final n'est pas perdu de vue, à savoir "créer un univers délibérément incomplet propre à accueillir les aventures de personnages qui le feront évoluer".

Beaucoup de trucs traînent sur internet, et la plupart fonctionnent d'une manière comparable en proposant un de faire un Inventaire : commencer par décider de l'ambiance voulue, puis des pays, de la géographie, puis des plantes, des animaux, etc. avec des variantes dans l'ordre. Ses avantages immédiats sont son efficacité et sa rapidité. Elle présente cependant tous les inconvénients d'une absence de profondeur initiale : pas de réflexion sur l'écosystème, réflexion superficielle sur les multiples évolutions politiques qui ont abouti aux civilisations en place - il faudra que ce soit fait a posteriori par l'auteur (s'il le fait !).

Une autre manière d'aborder la création d'un univers de jeu est Chronologique : créer l'univers à partir de rien, commençant par la cosmogonie, en décidant sa géophysique, puis en faisant évoluer la géographie, la faune, la flore, les peuples, les civilisations et leurs croyances, etc. Avantage : le monde est très cohérent et riche. Inconvénient : il devient très long de créer l'univers, puisqu'il faut penser à la chronologie de toutes les civilisations, leurs influences, etc. C'est la méthode proposée par le jeu Dawn Of Worlds précité, et elle fonctionne précisément parce qu'il y a plusieurs cerveaux en jeu qui permettent d'éviter le tarissement des idées.

La méthode Antéchronologique est hybride des deux premières. Celle-ci consiste à créer l'univers de jeu dans son état actuel, façon inventaire, et ensuite de décider des événements et causes qui ont mené à ce monde, du plus récent au plus ancien. L'avantage est de donner une profondeur à un univers initialement construit de toutes pièces. L'inconvénient est une prise de risque de blocage à savoir, l'écueil de la situation irréconciliable, où il n'est pas possible logiquement de concevoir comment une situation s'est créée.

La méthode Comparative consiste à créer l'univers à partir d'un autre univers comparable, en changeant un ou plusieurs détails, et en répercutant la totalité des ramifications et conséquences de ces détails changés sur l'univers de référence (ex : il y a deux soleils, les nazis ont gagné la guerre, etc). Avantage : la méthode permet d'explorer très efficacement les thématiques voulues par l'auteur. Inconvénient : encore faut-il que les menus changements aient un impact suffisamment significatif sur l'univers en train d'être créé pour être suffisamment distinct et original de l'univers de référence. Sinon, l'intérêt de la création devient discutable puisque ces différences sont au final essentiellement cosmétiques.

La méthode Dynamique fonctionne de manière très différente : il n'y a pas d'autre univers de jeu que celui que les joueurs explorent, et que le meneur (et les joueurs) improvisent au fur et à mesure du déroulement de la partie de JdR. Le meneur de jeu et/ou les joueurs fixent ensuite sur le papier les éléments de l'univers de jeu qu'ils ont défini progressivement. Son avantage est sa simplicité et sa faible préparation. Ses inconvénients sont qu'elle est forcément très dépendante de la fréquence des parties de JdR, et de l'inspiration soudaine du meneur et des joueurs.

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