Xyrop - Mot-clé - création2024-02-29T08:30:42+00:00urn:md5:a569525ea7dae80655214b43ebf9d4d9Dotclear[Réflexion] Publier un scénario pour un JdR tiers préexistant ?urn:md5:4f17dd3d6bdf14fb08ab7108508d4c8d2019-04-25T19:10:00+02:002020-05-10T16:53:04+02:00Ludoxauteurcréationdroit d auteurlicencepropriété intellectuellescénarioéditeur<p>Bon, ce billet va encore parler de droit d'auteur, de droits patrimoniaux et de droits moraux, suite à une question qui m'a directement été posée sur un réseau social.
Comme ce sont des réflexions personnelles (basées sur mes vagues notions de droit d'auteur et le cas échéant un peu de jurisprudence), ce billet sera, comme d'habitude, brouillon et déstructuré, et ne saurait être utilisé à aucune fin de conseil ou d'avis juridique - sinon par des irresponsables et des fous.</p> <h2>Rappels sur les droits patrimoniaux, les droits moraux et les œuvres dérivées</h2>
<p>En droit français (et globalement dans les pays signataires de la convention de Berne), les auteurs disposent d'un monopole sur les droits patrimoniaux et de droits moraux sur les œuvres qu'ils créent.</p>
<p>Les droits patrimoniaux recouvrent les modalités d'exploitation économique des œuvres : le fait des les reproduire, de les représenter au public (souvent de manière payante), de les modifier, traduire, adapter, et de les distribuer. Le monopole d'exploitation de ces droits a une durée limitée par le droit (qui peut dépendre du territoire et de l'ordre juridique). Une fois cette durée atteinte, le droit est prescrit et l’œuvre entre dans ce que l'on appelle le "domaine public".</p>
<p>Les droits moraux (paternité, divulgation, respect de l'intégrité de l’œuvre, et droit de retrait / repentir) correspondent à la matérialisation juridique du lien entre l'auteur et son œuvre. Ils sont inaliénables et imprescriptibles, et peuvent le cas échéant être exercés par les ayant droits. Ainsi, "Les Misérables" de Victor Hugo est une œuvre littéraire entrée dans le domaine public de sorte que le monopole d'exploitation des droits patrimoniaux n'existe plus, mais la paternité de cette œuvre est encore attribuée à Victor Hugo.</p>
<p>L’œuvre dérivée est régie en droit français par l'article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), selon lequel "<em>Les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale.</em> ..." (la suite est intéressante, mais pas pour ce billet).</p>
<p>Notez bien, dans cet article, le "<em><strong>sans préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale</strong></em>", parce c'est le nœud de la réponse à la question posée dans le titre de ce billet.</p>
<h2>Qualification juridique du scénario pour un JdR tiers préexistant</h2>
<p>Un livre de JdR est une œuvre de l'esprit. Pour peu qu'il présente des caractéristiques suffisantes d'originalité, et qu'il ait fait l'objet d'une matérialisation (gravé dans le cuivre, peint sur tissu, écrit sur une feuille de papier, etc.), il est protégeable (et protégé) par le droit d'auteur.</p>
<p>Un scénario est une œuvre de l'esprit. Pour peu qu'il présente des caractéristiques suffisantes d'originalité, et qu'il ait fait l'objet d'une matérialisation, il est protégeable (et protégé) par le droit d'auteur.</p>
<p>Un scénario pour un JdR est normalement une œuvre <strong>dérivée</strong> de ce JdR. Cela signifie que conformément à l'article L. 112-3 du CPI précité, son auteur peut jouir de la protection de ses droits d'auteur (patrimoniaux et moraux) sur le scénario s'il respecte lui-même les droits (patrimoniaux et moraux) de l'auteur sur son JdR.</p>
<p>Quand le JdR et le scénario sont écrits par le même auteur, ça ne pose pas trop de problèmes : il s'assied sur un coin de table dans la cuisine, et se met d'accord avec lui-même en bouffant un hareng en boîte.</p>
<p>Quand le JdR et le scénario ne sont pas écrits par le même auteur, l'auteur du scénario ne peut jouir de la protection du droit d'auteur que si la divulgation au public et l'exploitation de son scénario ne portent pas atteinte aux droits préexistants de l'auteur du JdR sur ce JdR (droits moraux et droits patrimoniaux) : en clair, c'est faisable à condition d'avoir le droit d'écrire un tel scénario.</p>
<p>Dans le cas de JdR disponibles dans le commerce, les titulaires des droits moraux et droits patrimoniaux peuvent bien entendu différer : l'auteur restant titulaire des droits moraux (imprescriptibles et inaliénables), et l'éditeur exerçant, lui, les droits patrimoniaux de l'auteur sur le JdR.</p>
<h2>Comment publier un scénario de JdR tiers (du commerce) sans porter atteinte aux droits de l'auteur dudit JdR ?</h2>
<p>Deux voies alternatives permettent de s'assurer de disposer des droits d'écrire un scénario adapté à un JdR tiers, ceci sans porter atteinte aux droits exercés par son éditeur et son auteur :<br /></p>
<ol>
<li>S'assurer que le scénario ne peut pas, de près ou de loin, être considéré comme une œuvre dérivée du JdR préexistant auquel il est censé correspondre ;<br /></li>
</ol>
<ol>
<li>Acquérir (ou s'assurer de déjà posséder) le droit de créer et d'exploiter un scénario qui soit une œuvre dérivée du JdR préexistant.</li>
</ol>
<h3>Première voie : éviter que le scénario ne puisse être considéré comme une œuvre dérivée du JdR</h3>
<p>La première voie, la plus simple, consiste tout simplement à faire du scénario une œuvre <ins>complètement nouvelle</ins> et <ins>totalement indépendante</ins> du JdR tiers préexistant.</p>
<p>Pour cela, rien ne doit être repris de ce qui a été officiellement créé sur l'univers du JdR originel : il faut donc éviter de reprendre tout texte du JdR originel (règles ou description), mais également s'abstenir d'exploiter directement ou indirectement tous illustrations, pictogrammes, éléments de charte graphique, lieux, personnages, noms et termes spécifiques au JdR en question.</p>
<p>D'une certaine manière, il s'agit de créer un scénario parfaitement générique : il se passerait par exemple dans une petite ville frontalière dont le nom ne figure sur aucune carte du JdR, avec des personnages totalement nouveaux.</p>
<p>C'est la stratégie poursuivie par un certain nombre d'éditeurs, tels que, pendant un temps, <a href="http://www.legrog.org/editeurs/mayfair-games">Mayfair Games</a> avec sa <a href="http://www.legrog.org/jeux/ad-d-regles-avancees-officielles-de-donjons-et-dragons/ad-d-editeurs-tiers/wizards-1ere-ed-revisee-en">gamme RoleAids</a>, à une époque où Donjons & Dragons dominait considérablement le marché du JdR (<em>NdA : l'erreur de Mayfair Games fut d'utiliser la marque Dungeons&Dragons pour proclamer la compatibilité de ses suppléments avec D&D - ce qui lui valut un procès basé sur l'usage illégal de la marque - il était beaucoup plus difficile à TSR d'essayer de prospérer sur le fondement du droit d'auteur</em>).</p>
<p>Évidemment, une telle solution a quand même de forts inconvénients, dès lors que l'univers du JdR présente de trop grandes spécificités. En outre, la décalque peut être transparente et quand même laisser le champ à une revendication de l'éditeur / de l'auteur qui pourraient s'estimer lésés. Heureusement, il reste une deuxième voie.</p>
<h3>Deuxième voie : acquérir le droit de réaliser une œuvre dérivée du JdR original</h3>
<p>Pour éviter de porter atteinte aux droits de l'auteur sur le JdR préexistant en créant et exploitant une œuvre dérivée de celui-ci, il faut disposer des droits de créer et d'exploiter cette œuvre dérivée.</p>
<p>Il faut donc avoir été investi des <strong>droits patrimoniaux</strong> de traduire, adapter, transformer ou arranger l’œuvre originaire qu'est le JdR préexistant en un scénario nouveau et dérivé.</p>
<p>Le rédacteur du scénario doit donc, en principe, acquérir auprès de l'éditeur (quand il y en a un) ou de l'auteur (quand il y en a... euh...) un droit de reprendre tout ou partie des textes, illustrations, personnages originaux, éléments graphiques, descriptions de l'univers de jeu, des lieux, objets, croyances, éléments de diégèse (que j'aime ce terme pour remplacer "<em>background</em>" - et merci à <a href="http://portes-imaginaire.org/">Laurent Gärtner</a> pour sa question !), pour les adapter, les creuser et les détailler pour en faire un scénario.</p>
<p>Même dans le cas où un créateur rédige un scénario clairement destiné à un JdR du commerce particulier (le scénario n'est pas générique et fait clairement référence aux notions et mécanismes du JdR préexistant) sans pour autant reprendre aucun texte ou élément graphique du JdR original, il s'agit d'une œuvre dérivée, car le scénario œuvre nouvelle n'aurait jamais pu exister sans l'existence précédente du JdR sur lequel il se base. De fait, la jurisprudence a clairement tranché : "<em>la "suite" d’une œuvre littéraire se rattache au droit d’adaptation</em>" (<a href="https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/arret_n_9850.html">arrêt n° 125 du 30 janvier 2007 de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, n° de pourvoi 04-15.543</a>).</p>
<p>La concession de droits au créateur du scénario œuvre dérivée du JdR originel est d'autant plus nécessaire si le créateur du scénario souhaite lui-même exploiter commercialement le scénario dérivé du JdR originel : sinon, il est prévisible que l'éditeur, dans le souci légitime de protéger l'exploitation de l’œuvre dont il a acquis les droits patrimoniaux afin d'en tirer un profit économique, cherchera à empêcher la diffusion du scénario en question (et y parviendra sans mal).</p>
<p>L'éditeur concédera donc selon toute vraisemblance une licence (probablement avec une contrepartie payante) au créateur du scénario, encadrant les limites dans lesquelles le rédacteur du scénario œuvre dérivée du JdR original peut créer et exploiter son scénario en reprenant et ré-exploitant des composantes littéraires et/ou graphiques plus ou moins importantes du JdR original.</p>
<p>Cette autorisation peut déjà avoir été concédée a priori si le JdR a été publié sous une <a href="https://blog.xyrop.com/post/2019/02/08/Comprendre-licences-JdR">licence ludique libre</a>. Attention cependant dans ce cas à la distinction entre ce qui relève de l'identité du produit et du contenu ouvert : si le scénario se base sur des éléments relevant de l'identité du produit (et les univers de jeu relèvent le plus souvent de cette identité produit), alors il sort clairement du cadre de la licence ludique libre - et l'obtention d'une concession spécifique de droits patrimoniaux devrait être recherchée auprès de l'éditeur dans tous les cas, ne serait-ce que par sécurité.</p>
<p>En tout état de cause, une limite à la concession des droits patrimoniaux à un créateur de scénario (ou de l'inutilité de cette concession de droits patrimoniaux si l’œuvre originelle est dans le domaine public - enfin rassurez-vous, aucun auteur de JdR n'est décédé depuis plus de 70 ans, donc ce n'est pas encore près d'arriver) est la survivance des <strong>droits moraux</strong> imprescriptibles et inaliénables de l'auteur du JdR, qui pourrait de toute façon soulever, soit par lui-même, soit par l'intermédiaire de ses ayants droit, que le scénario porterait atteinte à l'un ou l'autre de ses droits moraux.<br />
Sauf à ce que cet auteur ou ses ayants droit parviennent à démontrer que le scénario dérivé vient semer un doute sur le nom de l'auteur du JdR préexistant (atteinte au droit au nom en prétendant par exemple que Pierre Rosenthal et Jean-Pierre Pécau ne seraient pas auteurs de Capitaine Vaudou) ou dénature l'œuvre originale (par exemple : "<em>- C'est un scénario pour Tails of Equestria avec des rhinocéros sodomites, et où les PJ découvrent un 7e élément d'harmonie qui est la coprophagie...</em>"), ce fondement juridique semble assez peu praticable dès lors que le créateur du scénario s'est assuré de disposer des droits patrimoniaux nécessaires à son acte de création.</p>
<p>Pour autant, et même s'ils disposent de cette faculté, il est rare qu'un éditeur ou un auteur s'opposent à une diffusion d'un scénario à titre gratuit pour un JdR préexistant dont ils détiennent les droits. En effet, le JdR n'est pas qu'une œuvre, mais également un produit.<br />
Dès lors, la diffusion de scénarios gratuits faits par des tiers pour son JdR participe de la communication autour de ce produit, et peut représenter un vecteur positif de communication et de pénétration de ce produit dans le marché - du moins tant que ce scénario ne reprend pas d'éléments littéraires ou graphiques issus du JdR originel. C'est ce qui explique la relative tolérance de ces éditeurs à l'égard des magazines, sites web et autres fanzines proposant des scénarios pour les jeux qu'ils éditent (dont l'auteur de ces lignes est assez convaincu que tous ne demandent pas d'autorisation ni de licence pour ce faire). Ces éditeurs pourraient parfaitement faire interdire ces publications, mais cela n'est pas dans leur intérêt.</p>
<h2>Conclusion</h2>
<p>Oui, il est possible de rédiger et publier de manière payante un scénario pour un JdR tiers préexistant, aux conditions :<br /></p>
<ol>
<li>de disposer des droits patrimoniaux pour ce faire en ayant reçu une concession de licence de la part de l'éditeur (ou le cas échéant de l'auteur) - ou à la rigueur en s'étant assuré que l'auteur ou l'éditeur ne fera pas usage des droits patrimoniaux dont il dispose pour s'opposer à la création de cette œuvre dérivée ;<br /></li>
<li>de ne pas porter atteinte aux droits moraux du ou des auteurs du JdR tels que le droit au nom (la paternité de l'auteur) ou le droit au respect de l'intégrité de l’œuvre.</li>
</ol>https://blog.xyrop.com/post/2019/04/05/%5BR%C3%A9flexion%5D-Publier-un-sc%C3%A9nario-pour-un-JdR-pr%C3%A9existant#comment-formhttps://blog.xyrop.com/feed/atom/comments/55[Réflexion] Le droit d'auteur appliqué aux parties de JdR ?urn:md5:4008b14fc20c874b9cd1650f7db02a0d2018-12-31T17:30:00+01:002020-05-10T16:57:03+02:00Ludoxauteurcréationdroit d auteurMJpropriété intellectuelle<p>Où s'arrête la responsabilité de l'auteur, et où commence celle du meneur de jeu ?</p>
<p>D'une première réflexion sur cette organisation du partage de la création entre auteur et meneur de jeu, toute une problématique s'est rapidement manifestée quant à la notion de la partie de Jeu de rôle en tant que représentation d'une œuvre préexistante, ou bien en tant qu’œuvre éphémère de collaboration entre les divers participants.</p>
<p>Cette problématique soulève d'autres interrogations sur la manière dont le droit d'auteur peut appréhender l'objet "partie de Jeu de rôle", et les conséquences des différentes qualifications juridiques appliquées à une partie de Jeu de rôle.</p>
<p>Bref, un avertissement est de rigueur : ceci est un billet juridique assez trapu (que certains trouveront sans doute soporifique) basé sur l'état du droit (et du JdR) à la fin de l'année 2018, et qui ne sera probablement jamais mis à jour.</p> <p>La remarque que l'on entend habituellement sur le partage de création entre auteur et meneur de jeu est qu'une fois que l'auteur a publié son jeu, celui-ci ne lui appartient plus vraiment : le meneur de jeu et les joueurs vont s'approprier son univers et en faire quelque chose de différent.</p>
<p>Le jeu de rôle, comme l'a très bien fait remarquer Olivier Caïra dans "<em>Jouer avec l'Histoire</em>", est en effet basé sur plusieurs incertitudes croisées :</p>
<ul>
<li>chaque joueur ignore ce que l'auteur a écrit, ce que le MJ a préparé, ce que les autres joueurs ont ou vont imaginer ou faire, et ce que seront les résultats des dés ;</li>
</ul>
<ul>
<li>le meneur de jeu ignore ce que les joueurs ont ou vont imaginer ou faire, et ce que seront les résultats des dés.</li>
</ul>
<p>Sur cette base, l'auteur a réalisé une trame, posé des hypothèses, proposé des alternatives, mais c'est au cours de la partie et seulement celle-ci que ces incertitudes seront résolues et que la narration se déroulera comme elle doit se dérouler.</p>
<p>Cependant, cette question soulève d'autres questions plus délicates sur la nature du jeu de rôle, et notamment la nature de sa protection en tant qu’œuvre par le droit d'auteur (ici le droit d'auteur "à la française", mais compte tenu du nombre de pays signataires de la <a href="http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/berne/">Convention de Berne</a>, le raisonnement peut être élargi et étendu à la plupart des pays signataires sans trop de risque d'erreur).</p>
<h2>Rappels juridiques sur le droit d'auteur</h2>
<p>Premier rappel, une œuvre est protégeable par le droit d'auteur dès lors qu'il s'agit de la <ins>matérialisation</ins> (écrite, orale, musicale, etc.) <ins>originale</ins> d'une idée de son auteur.
Cette protection par le droit d'auteur se produit instantanément, dès la matérialisation de l’œuvre, sans qu'il soit besoin de l'enregistrer ou de la déposer. En revanche, il faudra le cas échéant être en mesure de prouver cette matérialisation par tous moyens. Le mérite artistique n'entre pas en ligne de compte (ce qui explique l'existence des colonnes de Buren), pas plus que la destination de l’œuvre (décorer un supermarché ou être exposée dans un musée), ou bien son caractère durable ou éphémère.</p>
<p>En ce qui concerne l'originalité, il faut également se rappeler que les idées sont de libre parcours :<strong><ins>SPOILER</ins></strong> tant Anthony Horowitz que Joan K. Rowling ont eu l'idée d'un gamin maltraité dans sa famille, dont la tante finit par gonfler et s'envoler, découvrant une école étrange au nord de l'Angleterre, où on apprend la sorcellerie, où les tableaux bougent tous seuls, où les fantômes semblent se mouvoir librement, où l'un des professeurs est un loup-garou, et un autre est secrètement l'antagoniste du héros, et les élèves s'affrontent pour récupérer une coupe magique - mais <strong><ins>FIN DU SPOILER</ins></strong> la matérialisation pratique de leur idée commune sous la forme d'ouvrages littéraires est très différente, de sorte que l’œuvre de Joan K. Rowling est très certainement protégée par le droit d'auteur et ne pourra très probablement pas être considérée comme une reproduction servile sans autorisation (c'est-à-dire un plagiat) des (excellents) romans d'Anthony Horowitz.</p>
<p>C'est donc l'originalité de la matérialisation qui est prise en compte, et qui explique pourquoi on peut trouver sur le marché des jeux de rôle aux thématiques très proches comme <a href="http://www.legrog.org/jeux/predateurs/predateurs-fr" hreflang="fr">Prédateurs de Flamberge</a> et <a href="http://www.legrog.org/jeux/vampire-la-mascarade" hreflang="fr">Vampire de White Wolf</a> sans pour autant considérer que Mark Rein•Hagen s'est livré à un plagiat portant atteinte aux droits des auteurs et éditeur de Prédateurs.</p>
<p>Deuxième rappel, le Code de la propriété intellectuelle distingue entre droits patrimoniaux et droits moraux applicables à une œuvre, dès lors que celle-ci est protégeable.</p>
<p>Les <strong>droits patrimoniaux</strong> sont les droits de reproduction, représentation, modification, traduction, adaptation, arrangement, et exploitation (comprendre distribution). Ils sont qualifiés de patrimoniaux parce que leur exploitation par leur titulaire (l'auteur principalement, mais s'il les a cédés, cela peut-être l'éditeur) aboutit habituellement à un avantage lucratif. Ils sont librement cessibles par l'auteur, qui a toute latitude pour organiser leur cession ou concession, via l'établissement de contrats ou de licences d'usage.
Lorsqu'un auteur écrit un ouvrage pour un éditeur, il cède habituellement ses droits patrimoniaux à cet éditeur en échange d'une contrepartie financière déterminée par contrat. L'éditeur devient dès lors <ins>titulaire</ins> des droits patrimoniaux (mais l'auteur reste auteur et titulaire des droits moraux, voir ci-après) sur l’œuvre.</p>
<p>Les <strong>droits moraux</strong> sont le droit au nom et à la qualité d'auteur (le fait <ins>pour une personne physique</ins> de pouvoir dire qu'elle est auteur), le droit de divulgation (le droit de révéler son œuvre au public), le droit au respect de l'intégrité de l’œuvre (le droit de s'opposer à un acte d'exploitation de l’œuvre qui la dénaturerait, qui la détruirait ou qui attenterait d'une manière ou d'une autre au respect de l'auteur, de son honneur, de sa réputation ou de ses intentions en divulguant l’œuvre - par exemple à l'exploitation de l’œuvre à des fins pornographiques), et le droit de retrait de l’œuvre (sous réserve de dédommager des tiers qui pourraient être lésés, c'est le fait de pouvoir revenir sur sa décision de divulgation de l’œuvre). En France, ces droits moraux sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles (ça explique pourquoi les éditeurs titulaires des droits patrimoniaux sont encore souvent obligés de dire qui est l'auteur des JdR qu'ils publient).</p>
<p>Un livre de jeu de rôle, un scénario, un groupe de scénario écrits, qu'ils soient publiés professionnellement ou non, sont - dès lors qu'ils sont matérialisés et originaux - protégeables par le droit d'auteur et constituent des œuvres littéraires et artistiques. J'ouvre immédiatement une parenthèse pour soulever le fait que les mécaniques des règles (principes de jeu, procédures de lancers de dés, etc.) ne sont pas protégeables par le droit d'auteur, mais que leur matérialisation sous forme écrite l'est. C'est aussi ce qui permet la tendance "Old-school revival" et les ouvrages du genre OSRIC, dont la teneur est particulièrement similaire à celle des anciens ouvrages de Donjons & Dragons, mais dont aucun texte (i.e. la matérialisation des règles sous forme écrite) n'est repris à l'identique : il ne s'agit pas d'une reproduction servile, ni d'une œuvre dérivée, mais d’œuvres purement originales protégeables et protégées par le droit d'auteur malgré des mécaniques de jeu très similaires.</p>
<p>Ceci étant posé, d'autres notions seront probablement abordées dans le cadre de cet article, et il convient de les rappeler :
Une œuvre peut avoir plusieurs titulaires de droits et plusieurs auteurs, et être elle-même composée de plusieurs œuvres (qui peuvent elles-mêmes avoir plusieurs titulaires) :</p>
<ul>
<li>l’œuvre composée de plusieurs autres œuvres est une <strong>œuvre composite</strong>. L'article L. 113-2, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle la définit comme "<em>l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière</em>". L'incorporation vise plutôt le cas où cette œuvre préexistante est intégrée totalement, et moins le cas où seules des parties préexistantes sont intégrées dans l’œuvre nouvelle (ce qui relèverait plutôt de la notion d'<strong>œuvre dérivée</strong> au sens de l'article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle). Pour approfondir la question, voir CA Paris, 1e ch., 10 mars 1970, D. 1971, p. 114, note P. L., mais également CA Versailles, ch. réunies, 18 mars 1992, RIDA 4/1998, p. 278 où une œuvre est qualifiée à la fois de composite et de dérivée ;</li>
</ul>
<ul>
<li>l’<strong>œuvre de collaboration</strong> est une œuvre créée par plusieurs individus à la fois, faisant acte de co-création d'une manière habituellement concomitante (enfin plus ou moins), où chaque contribution de chaque auteur peut être identifiée - et attribuée précisément à chaque auteur. Les auteurs d'une œuvre de collaboration sont co-titulaires des droits sur celle-ci, et pour exercer des actes de disposition (par exemple une cession de droits patrimoniaux à un éditeur), la totalité des auteurs doit être unanimement en accord avec cette cession. Si l'un des auteurs n'est pas d'accord, sa contribution personnelle peut être retirée de l’œuvre avant cession des droits patrimoniaux afin de permettre aux autres auteurs de céder les leurs. Un livre de Jeu de rôle est souvent une œuvre de collaboration, qui s'occupant des illustrations, qui s'occupant du chapitre relatif aux maladies et aux poisons, qui travaillant sur la maquette visuelle, etc.</li>
</ul>
<ul>
<li>l’<strong>œuvre collective</strong> est une œuvre crée par plusieurs individus à la fois, faisant acte de co-création d'une manière habituellement concomitante, mais où les contributions respectives des auteurs ne peuvent plus être identifiées dans l’œuvre (sachant que les formes émergentes de travaux collaboratifs tendent à remettre en question cette définition, que le rédacteur de ces lignes considère plutôt comme une œuvre plurale dont les contributions respectives des coauteurs ne peuvent pas être retirées / extraites / supprimées). Dans cette situation, est habituellement titulaire des droits patrimoniaux sur l’œuvre collective la personne (souvent morale) au nom et à l'initiative de laquelle cette œuvre collective a été divulguée (exemples d’œuvres collectives : une sculpture d'argile réalisée à plusieurs mains, un slogan publicitaire élaboré par une agence de publicité).</li>
</ul>
<h3>Au voisinage du droit d'auteur</h3>
<p>Une autre notion sera abordée dans cet article, à savoir celle des <strong>droits voisins</strong> de ceux de l'auteur. Ces droits voisins sont les droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes, vidéogrammes et bases de données. Nous parlerons surtout dans cet article des droits voisins des artistes-interprètes, qui jouissent de droits sur leur travail de représentation d'une œuvre préexistante.</p>
<p>Ces droits voisins de l'artiste-interprète sont également démembrables en droits :</p>
<ul>
<li><strong>patrimoniaux</strong>, correspondant au fait de pouvoir exploiter commercialement l'interprétation de l’œuvre ainsi que la fixation de celle-ci, et donc en tirer profit. Les exploitations secondaires de l'interprétation (par exemple par diffusion d'une captation d'image de celle-ci) donnent habituellement lieu à rémunération de l'interprète. Par ailleurs, le fait d'interpréter une œuvre équivaut techniquement à l'exercice du droit patrimonial de représentation dont l'auteur de l’œuvre est titulaire - et aboutit habituellement à ce que l'auteur soit rémunéré en contrepartie de cette concession non-exclusive de son droit de représentation à l'interprète qui exerce ce droit de représentation en interprétant cette œuvre.</li>
</ul>
<ul>
<li><strong>moraux</strong>, correspondant globalement au droit au nom et au respect de l'artiste, de sa qualité et de son interprétation.</li>
</ul>
<h2>Qualification juridique d'une partie de Jeu de rôle</h2>
<p>Reste la partie de JdR en elle-même : est-elle une œuvre ? Est-elle l'exercice d'un droit patrimonial lié à l’œuvre ? Est-elle plus que cela ?</p>
<p>Coralie David explique dans son article "<a href="https://journals.openedition.org/sdj/682">Le jeu de rôle sur table : une forme littéraire intercréative de la fiction ?</a>" que "<em>Le JdR est l’expérience collective et orale d’une création et d’une réception de la fiction par le langage</em>" : on ne saurait mieux définir le JdR comme activité créatrice d'une oeuvre orale, au même titre qu'une poésie qui aurait été inventée et déclamée spontanément par son auteur à un cercle d'auditeurs restreint.</p>
<p>Un livre de jeu de rôle (un livre de règles, un livre relatif à l'univers, etc.) et un recueil de scénarios de jeu de rôle sont faits pour être lus, mais ont essentiellement vocation à être joués. Le jeu de rôle se rapproche dans une certaine mesure du jeu de société proprement dit, façon "Monopoly", qui est également une œuvre littéraire et artistique protégeable et protégée par le droit d'auteur, par son support matérialisé.</p>
<p>Il en diffère cependant parce que ce support n'est nullement un prérequis obligatoire, et également du point de vue de la résultante de l'exécution du jeu :</p>
<ul>
<li>le résultat d'une partie de jeu de société en général est un bon moment d'amusement entre participants (du moins peut-on l'espérer) ;</li>
</ul>
<ul>
<li>le résultat d'une partie de jeu de rôle est, outre un bon moment d'amusement entre les participants, l'élaboration progressive et la matérialisation orale d'une narration, via l'interprétation de leurs personnages par les joueurs, sur la trame suggérée plus ou moins fortement par l'auteur. Bref, cela ressemble fortement à l'acte de formalisation de plusieurs idées créatives issues de l'esprit des joueurs.</li>
</ul>
<p>Afin d'aboutir à une qualification juridique, il semble utile d'établir un parallèle avec une pièce de théâtre, qui peut certes être lue, mais qui a vocation à donner lieu à une interprétation vivante et éphémère par les comédiens, sous la direction artistique d'un metteur en scène, qui est l'exercice du droit patrimonial de représentation de la pièce de théâtre.</p>
<p>La représentation est définie par l'article L122-2 du Code de la propriété intellectuelle de la manière suivante : "<em>La représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque, et notamment : 1° Par récitation publique, exécution lyrique, représentation dramatique, présentation publique, projection publique et transmission dans un lieu public de l’œuvre télédiffusée</em> <a href="https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/..." title="...">...</a>"</p>
<p>Transposée au JdR, la "représentation" d'un livre et/ou d'un scénario de jeu de rôle est la partie elle-même, au cours de laquelle l’œuvre préexistante qu'est le scénario se voit interprétée, réinterprétée, voire fortement altérée par les différents participants autour de la table de jeu.</p>
<p>Le public de cette représentation est constitué :</p>
<ul>
<li>au minimum des différents participants, chaque joueur étant public du MJ et des autres joueurs, le MJ étant également public des improvisations et initiatives des joueurs ;</li>
</ul>
<ul>
<li>des éventuels spectateurs présents autour de la table dans le cadre d'une partie se déroulant dans un lieu public, la narration partagée crée au cours de la partie n'étant pas intelligible seulement par les participants mais également par les tiers présents ;</li>
</ul>
<ul>
<li>d'éventuels spectateurs de la télédiffusion d'une partie filmée.</li>
</ul>
<p>La partie de jeu de rôle proprement dite pourrait donc recevoir les qualifications juridiques suivantes :</p>
<blockquote><p><strong>1.</strong> si la partie se base sur un jeu ou un scénario préexistant, la représentation d'une œuvre préexistante (l'ouvrage conçu par l'auteur de JdR) par exercice du droit patrimonial de représentation, faisant naître une œuvre dérivée ainsi que des droits voisins d'artistes-interprètes au profit des participants ;</p></blockquote>
<blockquote><p><strong>2.</strong> une nouvelle œuvre qui pourrait (1) être basée sur la mise en scène partagée (résultant principalement de l'activité créatrice du meneur de jeu mais également, dans une certaine part, de l'activité des autres participants) de l’œuvre préexistante, (2) ou bien être également constituée de la performance d'artiste créative, éphémère et unique de ses participants, comparable à la fiction créée de manière spontanée et immédiate dans le théâtre d'improvisation (surtout lorsque la narration sort du cadre prévu par le scénario), (3) tout en incorporant potentiellement des parties d’une œuvre préexistante protégées par le droit d'auteur, donc constituant une œuvre dérivée.</p></blockquote>
<p>Analysons plus en détail chacune de ces qualifications possibles.</p>
<h2>Conséquences de la qualification de la partie de JdR comme exercice du droit de représentation</h2>
<h3>L'autorisation des auteurs et titulaires de droits</h3>
<p>L'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que "<em>toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle de l’œuvre faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.</em>"</p>
<p>Si en effet la partie de JdR est l'exercice du droit de représentation d'une œuvre antérieure préexistante, alors il est en principe nécessaire que les participants d'une table de JdR se préparant à jouer le scénario antérieurement divulgué disposent de l'autorisation du titulaire des droits patrimoniaux sur ledit scénario.</p>
<p>Toutefois, l'article L. 122-5 du Code précité pose une exception à ce principe : "<em>Lorsque l’œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : 1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ;</em>"</p>
<p>Cette qualification permet donc encore à un groupe d'amis proches (ou à une famille) de se réunir autour d'une table de jeu et de faire ensemble une partie de JdR.</p>
<p>La notion de cercle de famille est essentiellement jurisprudentielle, notamment appliquée aux différentes décisions sur l'exception de copie privée des vidéogrammes (mais bien entendu extensible au cas de l'interprétation <em>in vivo</em> d'une œuvre théâtrale), et interprétée très restrictivement par les tribunaux comme n'incluant que les personnes parentes ou amies très proches, unies de façon habituelle par des liens familiaux ou d’intimité.</p>
<p>Selon cette acception, les parties de JdR du dimanche entre amis à la maison sont sauvées : elles ne requièrent pas d'autorisation préalable des auteurs du JdR et scénario. Ouf !</p>
<p>Mais qu'en est-il du cas des parties réalisées en clubs ? Des démonstrations dans les manifestations publiques ? Des vidéos et podcasts de parties se multipliant dorénavant sur les plates-formes de <em>streaming</em> ?</p>
<p>Par définition, les clubs de JdR réunissent des personnes liées par une communauté d'intérêts. Les membres de clubs de JdR ne sont pas des personnes parentes ou des amis très proches unis de façon habituelle par des liens familiaux ou d’intimité - même si de tels liens d'amitié et d'intimité peuvent fréquemment peut naître autour de la table de JdR. En outre, les clubs réclament souvent une cotisation, participation ou adhésion à une association, ce qui vient contredire le critère de gratuité - même si les parties elles-mêmes ne sont pas payantes de manière individuelle.</p>
<p>Les parties de démonstration dans les manifestations ouvertes au public (telles que les conventions) sont par nature... publiques, ce qui est nécessairement exclusif d'une représentation dans un cadre privé. En outre, ces manifestations font souvent payer un droit d'entrée, ce qui introduit une notion d'exploitation économique de la représentation exclusive d'un cadre familial ou amical.</p>
<p>Par conséquent, ces parties en club et ces démonstrations dans le cadre de manifestations ouvertes au grand public <ins>ne relèvent pas</ins> de l'exception de représentation privée et gratuite dans le cercle de la famille.</p>
<p>Les vidéos filmées de parties de JdR correspondent très exactement à l'exercice du droit de représentation par <em>communication de l’œuvre au public</em> <a href="https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/..." title="...">...</a> <em> 2° Par télédiffusion. La télédiffusion s'entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données et de messages de toute nature.</em> (article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle).</p>
<p>Les télédiffusions de ces parties sur les plates-formes de <em>streaming</em> se fait à destination du public, et génèrent également une rémunération par les gestionnaires de plates-formes - ce qui exclut également ici qu'il s'agisse d'une représentation privée et gratuite dans le cercle de la famille.</p>
<p>Or, selon l'article L. 131-2, alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle, "<em>les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle (...) doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution.</em>"</p>
<p>Cela signifie que, conformément aux règles du droit d'auteur, les parties de JdR en club, en convention, ou diffusées sur des plates-formes de <em>streaming</em>, dès lors qu'on pourrait les qualifier d'exercice du droit de représentation d'une ou plusieurs œuvres préexistantes, requièrent normalement un accord des auteurs des œuvres préexistantes, accord qui doit nécessairement intervenir par écrit <em>ad validitatem</em> (c'est-à-dire que l'écrit est une condition nécessaire mais pas suffisante de la validité de cet accord).</p>
<p>Peu d'auteurs de JdR et/ou de scénarios pensent à accorder une telle autorisation écrite.</p>
<p>La <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Licence_ludique_libre" hreflang="fr">licence ludique libre</a> <a href="http://www.opengamingfoundation.org/ogl.html" hreflang="en">Open Gaming License 0.1a</a> constitue une exception notable, car elle prévoit une autorisation générale de "distribution" pour tout bénéficiaire de contenu sous ladite licence, la définition de la distribution dans le cadre de cette licence recouvrant des actes relevant de l'exercice du droit de représentation selon l'article L. 122-2 précité, assortie néanmoins de conditions telles que le fait de faire figurer les notices correctes d'attribution des auteurs et titulaires des droits des œuvres préexistantes, et de conserver la même licence.</p>
<p>Pour autant, cette licence OGL 0.1a a été conçue d'abord pour régir les œuvres écrites directement dérivées des œuvres préexistantes sous cette licence, ce qui explique son caractère inadapté à de telles situations : peut-on raisonnablement attendre d'un MJ qui maîtrise une partie filmée ou une partie en convention d'ouvrir soudainement une parenthèse pour définir dans sa description ce qui relève de la licence ludique libre et ce qui relève de l'identité du produit ("<em>product identity</em>", qui est exploitable en conjonction avec le contenu ouvert donc peut être représenté par le MJ, mais non soumis aux termes de la licence libre) selon la licence OGL 0.1a ?</p>
<h3>La naissance de droits voisins pour les participants</h3>
<p>Autre conséquence de la qualification de la partie de JdR comme exercice du droit de représentation : elle fait naître des droits voisins d'artistes-interprètes au profit des participants, puisque ceux-ci sont les interprètes des personnages s'intégrant dans la narration résultant de la représentation vivante de l’œuvre écrite préexistante.</p>
<p>Cette qualification des joueurs participants comme artistes-interprètes est encore renforcée par le recours éventuels à des personnages pré-tirés conçus par l'auteur du JdR et/ou du scénario, puisque l'apport créatif des joueurs participants est conditionné par les aspects, caractéristiques et description de leur personnage d'ores et déjà défini par l'auteur.</p>
<p>Selon cette acception, les joueurs participants disposeraient donc de droits patrimoniaux dits "voisins" sur leur interprétation de leur personnage, d'une durée de 50 ans "<em>à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de l'interprétation</em>" ou, si "<em>durant cette période, une fixation de l'interprétation dans un vidéogramme ou un phonogramme fait l'objet <a href="https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/..." title="...">...</a> d'une communication au public</em>", la durée est de 50 ans après ces faits pour un vidéogramme, et 70 ans après ces faits pour un phonogramme (article L.211-4 du Code de la propriété intellectuelle).</p>
<p>La reconnaissance de tels droits voisins pour les participants d'une partie de JdR ouvrirait alors la possibilité pour ces "joueurs-artistes-interprètes" de faire valoir un droit à une rémunération auprès des exploitants (plates-formes de <em>streaming</em> & <em>podcasts</em>) des vidéogrammes et phonogrammes ayant capturé l'interprétation de leur personnage (bien entendu hors des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;?idArticle=LEGIARTI000032859751&cidTexte=LEGITEXT000006069414&dateTexte=20181230" hreflang="fr">cas d'exclusion L. 211-3 du Code</a> dont l'énumération serait ici fastidieuse).</p>
<h2>Conséquences de la qualification de la partie de JdR comme œuvre nouvelle</h2>
<h3>La mise en scène partagée de l’œuvre préexistante</h3>
<p>La représentation fait naître, sur la représentation spécifique de l’œuvre, des droits d'auteur au profit du metteur en scène ainsi que des droits voisins des artistes-interprètes au profit des comédiens.</p>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichIDCCArticle.do;jsessionid=25C7366AAE431AD58450D5CA0DB71276.tpdila17v_1?cidTexte=KALITEXT000034449382&idArticle=KALIARTI000034449385&dateTexte=20170420&categorieLien=cid">L'avenant du 10 novembre 2016 relatif aux dispositions du titre VI « Metteur en scène de théâtre » de l'annexe I de la convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant du 3 février 2012</a> présente de manière très claire l'origine de son droit d'auteur (qui n'est pas un droit voisin) pour le metteur en scène :</p>
<blockquote><p><em>Le metteur en scène de théâtre est celui qui, par son art personnel et sa créativité, apporte à l'œuvre écrite par l'auteur, une vie scénique qui en fait ressortir les qualités sans jamais en trahir l'esprit, son rôle s'inscrivant sur deux plans distincts :</em></p>
<p>
<em>- celui de la création intellectuelle correspondant à sa conception artistique de la mise en scène et qui lui confère les droits de propriété littéraire et artistique en sa qualité d'auteur de la mise en scène ;</em></p>
<p>
<em>- celui de l'exécution matérielle de cette conception dans le cadre de laquelle il exerce sous l'autorité du producteur et dans le strict respect du droit des autres auteurs, et particulièrement celui de l'auteur de l'œuvre initiale écrite ou composée, le choix des artistes et de tous les intervenants créatifs artistiques et techniques dont il prépare, coordonne et dirige le travail.</em></p></blockquote>
<p>Via l'interprétation des PNJ, via les décisions sur l'enchaînement des situations, via ce qu'il apporte en termes d'ambiance, le MJ ressemble fortement à un metteur en scène : il décide du jeu d'acteur requis pour l'interprétation des PNJ, il décide de l'ambiance lumineuse, des décorations de la table, de l'<a href="https://blog.xyrop.com/post/Illustration-musicale-en-JdR">illustration musicale</a> et des illustrations picturales de la partie - en s'aidant le cas échéant des indications de l'auteur, mais avec néanmoins une très grande liberté dans cette mise en scène.</p>
<p>Il faut rappeler néanmoins que cette distinction entre le droit d'auteur du metteur en scène et le droit voisin de l'artiste-interprète devient assez floue si on tente de qualifier les activités des joueurs participant à une partie de Jeu de rôle.</p>
<p>En effet, ceux-ci ne suivent pas aveuglément un script déjà totalement écrit (pour autant qu'ils le suivent !), ni des indications particulières du MJ/metteur en scène.</p>
<p>Via l'interprétation de son personnage, sur laquelle il a un contrôle presque absolu, chaque joueur a un impact potentiellement très fort sur le résultat final de la performance qu'est la partie de JdR, et peut ainsi grandement altérer la trame initialement imaginée par l'auteur.</p>
<p>Chaque participant est donc à la fois comédien et un peu metteur en scène, en plus d'être public actif où "<em>la fiction est assimilée alors même qu’elle est créée, le phénomène de réception </em><a href="https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/venant" title="venant">venant</a><em> nourrir celui de la création.</em>" (<a href="https://journals.openedition.org/sdj/682">Coralie David, Le jeu de rôle sur table : une forme littéraire intercréative de la fiction ?</a>)</p>
<p>La mise en scène nouvelle est donc une œuvre de collaboration, "<em>propriété commune des coauteurs</em>" qui "<em>doivent exercer leurs droits d'un commun accord</em>" selon l'article L. 113-4 du Code de la propriété intellectuelle, et qui résulte des activités créatrices de mise en scène combinées du meneur de jeu et des joueurs.</p>
<h3>Une performance d'artiste</h3>
<p>Cependant, un autre parallèle est également envisageable : la partie de JdR a pour objet la création d'une narration éphémère, qui n'a pas vocation à être rejouée plusieurs fois par les mêmes participants avec les mêmes personnages.
Les joueurs apportent en outre une spontanéité dans leurs réactions, prises de décision, dialogues, et orientations de la trame.
Enfin, les <a href="https://blog.xyrop.com/post/%5BTactique-de-ma%C3%AEtrise%5D-Alea-incertitude-information-jet2de">lancers de dés apportent réellement une incertitude</a> quant au déroulement effectif de l'intrigue, obligeant la totalité des participants à improviser les événements conséquence de ces aléas.</p>
<p>Dans ces conditions, la partie de JdR se rapproche considérablement des performances d'artistes créatives qui sont par nature toujours uniques et éphémères (bien qu'elles puissent faire l'objet d'une captation via un vidéogramme et d'une rediffusion) de manière comparable à la fiction créée de manière spontanée et immédiate dans le théâtre d'improvisation (surtout lorsque la narration sort du cadre prévu par le scénario).</p>
<p>Ces performances d'artistes sont des œuvres par elles-mêmes, résultant de la combinaison des apports créatifs et talents des différents participants.</p>
<p>Une partie de JdR pourrait dès lors être qualifiée de performance collective d'artistes, donc d’œuvre plurale. Il resterait à trancher la nature de l’œuvre qu'est cette performance pour connaître le titulaire des droits sur celle-ci.</p>
<p>En effet, la partie de JdR comme performance ressemble à une œuvre de collaboration dans la mesure où chaque contribution de chaque participant peut être identifiée et attribuée précisément à chaque auteur ( "<em>moi, j'ai dit ça, toi, tu as fait ça</em>").</p>
<p>Cependant, si la partie de JdR est une œuvre de collaboration, en cas de désaccord d'un des participants avec tous les autres quant à l'exercice des droits patrimoniaux sur la partie , il n'est pas possible de résoudre ce désaccord via la suppression de l'apport créatif de ce participant en raison de la nature même d’œuvre éphémère qu'est la partie de JdR.</p>
<p>C'est la raison pour laquelle il semble que la qualification d’œuvre collective soit plus appropriée pour une partie de JdR, les contributions respectives des co-auteurs pouvant certes être distinguées, mais ne pouvant plus être retirées de l’œuvre sans qu'elle cesse d'être l’œuvre ni la dénaturer.</p>
<p>Selon cette qualification, la personne au nom et à l'initiative de laquelle cette œuvre collective qu'est la partie de JdR a été divulguée est titulaire des droits patrimoniaux et peut seule décider des modalités d'exploitation de l’œuvre.</p>
<h3>Une œuvre composite</h3>
<p>En pratique, la partie de JdR, lorsqu'elle n'est pas totalement improvisée par le MJ, ni mise en œuvre la base d'une trame qu'il a lui-même rédigée, mais basée sur une œuvre tierce préexistante, vient nécessairement incorporer des parties de cette œuvre préexistante, sans intervention du titulaire des droits de l'auteur de l’œuvre préexistante. Il s'agit donc d'une œuvre composite au sens de l'article L 113-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle : "<em>Est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière.</em>"</p>
<p>Mettons immédiatement de côté le cas où la partie de JdR consiste par exemple à jouer l'exploration de la planète LV-426, ce qui motive le MJ à intégrer, à titre d'illustration musicale, des morceaux préexistants de l'album des bandes originales d'Alien de Jerry Goldsmith ou Aliens de James Horner.</p>
<p>Ici, le cas étudié est bien la partie de JdR en tant que création d'une narration commune et d'une interprétation de personnages, dérivées d'une trame, de personnage non-joueurs déjà décrits et d'indications rassemblés dans un livre de JdR et un scénario conçus exprès pour permettre le déroulement d'une ou plusieurs parties de JdR.</p>
<p>La première phrase de l'article L. 112-3 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : "<em>Les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale.</em>" Également, "<em>L’œuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l’œuvre préexistante.</em>" (article L. 113-4 du CPI).</p>
<p>Ce n'est donc pas parce que la création qu'est la partie de JdR pourrait être une œuvre dérivée qu'elle est pour autant dépourvue de la protection du droit d'auteur. En revanche, cette création <strong>ne doit pas se faire au préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale</strong> : l'autorisation de l'auteur de l’œuvre originale est nécessaire pour créer une œuvre dérivée.</p>
<p>Évidemment, cette autorisation est implicite quand un auteur fixe ses considérations dans un ouvrage de JdR, avec l'espoir que celui-ci soit lu et joué.</p>
<p>Toutefois, comme rappelé <em>supra</em>, "<em>les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution</em>" (Article L 131-2 du CPI alinéa 1) et "<em>les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit</em>" (Article L 131-2 du CPI alinéa 2).</p>
<p>Par conséquent, si la partie de JdR est qualifiée d’œuvre composite dérivée de l’œuvre préexistante qu'est l'ouvrage de JdR (livre de JdR ou scénario), alors son exploitation au-delà du cercle de famille de l'article L. 122-5 du CPI requiert l'accord écrit de l'auteur de l’œuvre préexistante, accord qui ne peut pas être présumé.</p>
<p>La sanction de cette absence d'autorisation, évoquée <em>supra</em>, est plutôt rude : "<em>Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque</em>" (Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle).</p>
<p>Autrement dit, si cette qualification est retenue, l'autorisation écrite expresse du titulaire des droits de l'auteur sur un ouvrage de JdR particulier est indispensable pour toute divulgation au public de l’œuvre composite qu'est la partie de JdR correspondant à l'adaptation vivante de l’œuvre préexistante, que cette divulgation soit faite dans le cadre d'une manifestation publique (convention, démonstration, ou autre) ou bien par la diffusion d'un vidéogramme ou phonogramme via une plate-forme de <em>streaming</em>.</p>
<p>Passer outre une telle absence d'autorisation constitue une prise de risque car l'exercice d'un droit de l'auteur sans en être titulaire ni disposer de son autorisation est une contrefaçon, et la contrefaçon est un délit (articles L.335 et suivants du Code de la propriété intellectuelle).</p>
<p>Il est important de garder à l'esprit que, comme rappelé <em>supra</em>, les licences ludiques libres et certaines licences Creative Commons constituent de telles autorisations écrites préalables - rendant ainsi licites les éventuelles parties de JdR, œuvres composites dérivées de ces ouvrages préalables.</p>
<h2>La partie de JdR et le respect des droits moraux de l'auteur</h2>
<p>De plus en plus souvent, les auteurs de JdR formulent des notes d'intention, des remarques à l'égard des lecteurs, des explications sur la manière dont la partie devrait se dérouler, sur l'ambiance qui devrait émerger au cours de la partie.</p>
<p>Certains s'autorisent à insister, par exemple, sur le fait que leur jeu est sérieux et que, si les personnages-joueurs ont des pouvoirs, les parties ne doivent pas tourner à une foire d'empoigne façon comic-books des années 50, mais à des situations dramatiques pleines de pathos.</p>
<p>Plus prosaïquement, des auteurs donnent aussi des indications sur la manière dont certains PNJ devraient être interprétés par le MJ, leurs maniérismes, leur accent, etc.</p>
<p>Bref, certains auteurs de JdR indiquent ce qui, selon eux, est <ins>une</ins>, voire <ins><strong>la</strong></ins> "bonne manière de jouer" à leur jeu.</p>
<p>Dans un jeu comme le Monopoly, cela ne poserait évidemment aucune difficulté : il s'agirait alors d'un rappel de la règle qui aboutit à un amusement optimisé selon l'auteur.</p>
<p>Mais comme évoqué plus haut, le Jeu de Rôle n'est pas qu'un jeu de société façon Monopoly. C'est un jeu dans lequel les participants vont fournir un apport créatif original pour faire naître une nouvelle interprétation de l’œuvre préexistante (l'ouvrage de JdR de l'auteur) et une œuvre composite reprenant des parties de l'ouvrage de JdR d'origine.</p>
<p>Ainsi, en posant des indications sur une "bonne manière de jouer" à l'intérieur de son ouvrage, l'auteur de JdR fixe tout simplement des conditions pour l'exercice du droit de représentation de l’œuvre, et donc, par extension, vient limiter :</p>
<ul>
<li>les possibilités de mise en scène de son jeu ou de son scénario par les participants à la partie - exactement de la même manière que des didascalies pour les pièces de théâtre, qui font partie intégrante de la manière dont son œuvre <strong>doit</strong> être mise en scène selon le dramaturge.</li>
</ul>
<ul>
<li>le champ des possibles des œuvres composites pouvant résulter de l'adaptation et de la transformation de son œuvre originelle en une œuvre dérivée (hors le cas particulier de la parodie).</li>
</ul>
<p>L'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : "<em> L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre</em>".</p>
<p>Dès lors que l'auteur a écrit quelle était, selon lui, "la bonne manière" de jouer à son JdR, il pourrait arguer que la divulgation au public (par démonstration dans une convention ou par télédiffusion) d'une représentation de son œuvre (ou d'une œuvre composite) qui ne respecterait pas cette "bonne manière de jouer" constitue une <strong>dénaturation</strong> de son œuvre originelle, et donc une atteinte à son droit moral.</p>
<h2>Conclusions</h2>
<h3>Conclusion pour les éditeurs de JdR</h3>
<p>Peut-on imaginer qu'un éditeur de JdR ou qu'un auteur prétende réguler, sur l'un ou l'autre des fondements évoqués <em>supra</em>, des parties de démonstration en convention ou bien des diffusions de parties filmées ?</p>
<p>Cela ne semble pas inconcevable, car il est dans l'intérêt des éditeurs de réguler la communication autour de leurs créations ludiques.
Un éditeur pourrait ainsi vouloir éviter qu'une partie filmée donne un exemple contraire à l'image que l'éditeur veut donner de son jeu, ou qu'un MJ fasse jouer en convention un scénario qui révèle des secrets essentiels de l'univers de jeu (ce qui risquerait de faire baisser l'appétence des acheteurs potentiels pour le livre d'univers contenant ces secrets).</p>
<p>La qualification de la partie de JdR par le droit d'auteur permet un tel contrôle <em>a priori</em> de la divulgation hors du cercle de famille des éléments importants de l’œuvre originelle via les représentations et œuvres dérivées, en obligeant les divulgateurs potentiels de la représentation ou de l’œuvre composite à obtenir une autorisation préalable.</p>
<p>Cependant, à n'en pas douter, l'encadrement strict de cette pratique aboutirait sans doute à un déficit d'image considérable pour l'éditeur concerné : le marché du JdR est un marché de niche dont les pratiquants ne sont pas assez nombreux.</p>
<p>Dès lors, seuls de très gros éditeurs comme Hasbro par exemple pourraient se permettre ce type d'intervention, en refusant par exemple son agrément à la diffusion de parties de Donjons & Dragons 5e édition abordant des thématiques sexuelles fortes, ou en refusant son autorisation à des scénarios de démonstration autres que ceux spécifiquement prévus par cet éditeur, ou encore en exigeant un niveau de qualité / d'expérience / charisme minimal pour le MJ.</p>
<h3>Conclusion pour les participants des parties de JdR divulguées au public</h3>
<p>Les différentes qualifications juridiques possibles d'une partie de JdR aboutissent au constat que des droits d'auteur (de nature tant morale que patrimoniale) et/ou des droits voisins naissent presque inévitablement au profit de ses participants dès la première matérialisation d'un apport créatif de leur part.</p>
<p>Corollaire de cette naissance de droits, la faculté de revendiquer le bénéfice de leur exploitation : il n'est pas inenvisageable pour un joueur d'une partie filmée d'exiger, selon la qualification juridique retenue, que la diffusion de cette partie respecte son droit voisin d'artiste-interprète, respecte l'exercice de son droit moral d'auteur (droit à voir son nom apposé sur le vidéogramme), voire, si ce ne s'agit pas d'une œuvre collective, que le vidéogramme ne soit pas du tout divulgué à moins qu'il ne lui soit versé une part de rémunération proportionnelle à son apport créatif sur la base des bénéfices d'exploitation du vidéogramme.</p>
<p>Sur la base de ces constats, la démarche qui semble émerger d'elle-même consiste, pour les organisateurs de parties filmées ou de parties de démonstration publiques, à prévoir une contractualisation (qui n'a pas besoin d'être très longue ni complexe et qui peut pour les parties filmées s'inscrire dans le cadre de la gestion du droit à l'image) entre les différents participants afin d'articuler les différents droits d'auteur et droits voisins qui naîtront dans le cadre de la partie.</p>
<p>On peut ainsi imaginer que les participants s'accordent pour céder, de manière exclusive ou non, leurs droits au MJ, à l'un des participants, ou à une association tierce dès avant la partie, afin que ce cessionnaire puisse se trouver seul titulaire des droits et en charge de leur exploitation (bien entendu en faisant attention de ne pas tomber dans le cas de l'article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que "<em>La cession globale des œuvres futures est nulle</em>").</p>
<p>Évidemment, de nouvelles questions émergent : Comment rédiger de tels accords ? Est-ce que les licences Creative Commons ou de Youtube peuvent s'appliquer valablement à des parties filmées basées sur des contenus eux-mêmes sous licence ludique libre OGL 0.1a ? Faudrait-il prévoir une licence dans tous les ouvrages de JdR ? Qu'y faire figurer ?</p>
<p>Ces nouvelles questions dépassent très largement l'objet du présent article, qui n'est après tout qu'une réflexion juridique sur les qualifications juridiques possibles d'une partie de JdR.</p>
<p>Dans l'hypothèse où vous m'auriez lu jusqu'au bout je me permets de vous adresser mes félicitations pour avoir supporté une telle quantité de prose amphigourique et assommante.</p>
<p>MISE À JOUR : <a href="https://blog.xyrop.com/index.php/post/2019/01/09/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-non-applicable-JdR">Et si aucune qualification juridique ne peut être retenue, que se passe-t-il ? C'est l'objet de ce nouveau billet</a>.</p>https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-JdR#comment-formhttps://blog.xyrop.com/feed/atom/comments/59[Aide de jeu] Créer un univers de jeu de rôle : prérequis et méthodesurn:md5:5ce63cbe02f433a7960d2605b39fc9362017-03-19T11:41:00+01:002020-05-10T17:16:44+02:00LudoxAide de jeuauteurconseilscréationJdRJeu de rôlemaîtrisermeneur de jeuunivers<p>Ce billet présente des considérations méthodologiques pour la création d'univers de jeux de rôle, qui auraient dû - mais n'ont hélas pas pu - être présentées en détail dans la table ronde sur la création d'univers lors du Festival Au-delà du Dragon qui s'est déroulé à Montpellier les 18 et 9 mars 2017.<br />
Elles sont fournies ici à titre de référence et de complément, pour tout créateur potentiel d'univers de jeu de rôle qui souhaiterait en prendre connaissance.</p> <p>La création d'univers implique une démarche intellectuelle qui ne requiert pas nécessairement la création d'un jeu. Ainsi Margaret Weis et Tracy Hickman ont conçu l'univers de Dragonlance sur la base de leurs propres scénarios de JdR - sans modifier les règles de D&D.<br /></p>
<p>En revanche, il n'est pas possible de nier l'interaction entre univers et règles de jeu. Les deux se nourrissent l'un l'autre pour une raison de connexité très simple : les règles se veulent une simulation d'une certaine réalité, et l'univers se veut la description plus ou moins littéraire cette même réalité.<br /></p>
<h2>Les prérequis</h2>
<h3>La fibre créative</h3>
<p>Le premier de ces pré-requis est tout simplement d'avoir la fibre créative, l'envie de créer un univers, de le concevoir. Le mérite, la qualité du résultat sont indifférents puisque l'acte créateur renferme sa propre récompense en lui-même.<br /></p>
<p>Le point délicat n'est pas dans le fait de se lancer dans la création d'univers, mais dans le fait de choisir de divulguer l'univers à autrui. Divulguer sa création, c'est se confronter à ceux qui vont s'emparer de cet univers, prendre le risque du jugement, de la critique, de la remarque trollesque, et au pire de l'indifférence. Les joueurs de son propre groupe sont la plupart du temps bienveillants, mais les tiers peuvent avoir des attentes différentes que le créateur d'univers peut n'avoir pas anticipées.<br /></p>
<h3>Le talent et/ou le recul</h3>
<p>Dans cette optique, le deuxième pré-requis à l'acte créateur d'univers devient à mon sens d'avoir suffisamment de talent pour éviter la critique ou à défaut suffisamment de recul et d'autodérision pour la supporter et en prendre son parti (et améliorer ce qui peut l'être).<br /></p>
<h3>La conscience des particularités du JdR</h3>
<p>Le troisième pré-requis est la conscience constante et aiguë que l'univers d'un jeu de rôles n'est pas l'univers d'un roman ou d'un film.<br /></p>
<p>C'est le cadre d'une fiction incomplète, qui ne sera complétée que quand meneur et joueurs se seront emparés du cadre de jeu. Indiquer, dans le background d'un jeu, que mille ans avant la période de jeu, les rois-dragons portaient une couronne de 3 pouces de haut n'a d'intérêt que si ce détail revêt un véritable enjeu narratif, déterminant pour l'évolution ou la survie des personnages du jeu. Si ce n'est pas le cas, ce détail n'a absolument aucun intérêt en pratique sinon satisfaire l'ego du créateur.<br /></p>
<p>Pour la même raison, un univers de jeu n'appartient pas à ses créateurs, mais à ceux qui en sont les récipiendaires : les lecteurs, les joueurs, les meneurs.<br /></p>
<h3>L'apport de l'univers</h3>
<p>Le quatrième pré-requis est : cet univers doit apporter quelque chose que les autres univers n'apportent pas. Un univers qui se limite à renommer les elfes et les nains et à changer des détails cosmétiques ("ah non, mon univers est totalement original et n'a rien à voir avec le monde de Greyhawk. Il n'y a pas d'elfes. En revanche, il y a les faës, êtres minces et agiles qui aiment la nature, ont des oreilles pointues, ont une affinité avec la magie, et vivent très longtemps.") n'a a priori que peu d'intérêt tant pour les joueurs que les MJ potentiels.
Cet écueil peut sembler surmonté si les intrigues que propose cet univers se révèlent plus intéressantes : mais on sort dans ce cas de la création d'univers pour discuter de la création de scénario / d'intrigue. En effet, ces intrigues palpitantes auraient très bien pu se dérouler dans l'univers originel (sous réserve des questions de droits d'auteur et des notions d’œuvres dérivées).<br /></p>
<p>À l'inverse, un univers dont les thématiques apparaissent inédites (sans qu'elles le soient nécessairement : bien prétentieux celui qui croit connaître tous les JdR existants, même les vieilleries perdues du fin fond des cales du <a href="https://blog.xyrop.com/post/legrog.org" hreflang="fr">GROG</a>. Ainsi, pour la sortie de <a href="http://www.legrog.org/jeux/hellywood" hreflang="fr">Hellywood</a>, ou de <a href="http://www.legrog.org/jeux/edge-of-midnight" hreflang="fr">the Edge of Midnight</a>, qui s'est souvenu de l'ancêtre <a href="http://www.legrog.org/jeux/bloodshadows" hreflang="fr">BloodShadows</a> ? Pas grand monde, et ça n'a pas beaucoup d'importance au final) pourra apparaître plus "intéressant".<br /></p>
<h2>Création d'un univers à plusieurs</h2>
<p>La difficulté principale de la création commune consiste en la nécessité de dépasser l'opposition des contraires sur la totalité des points de l'univers à créer. Si des créateurs ont une sensibilité divergente sur un aspect de l'univers qu'ils créent, comment résoudre cette divergence ? Soit l'un cède, soit ils trouvent une autre idée, soit - plus délicat - ils parviennent à faire passer leurs deux idées à la fois via une synergie.<br /></p>
<p>Les deux premières options ont pour la première l'avantage de la rapidité, pour la deuxième, l'avantage du compromis.<br /></p>
<p>Elles ont aussi des inconvénients. La première a pour inconvénient le risque de disparition d'une idée au final meilleure que celle retenue (car ce ne sont pas toujours les meilleures idées qui sont gardées dans une création commune, mais souvent celles que leur auteur a suffisamment de personnalité pour imposer) - au risque d'affadir l'univers de jeu, de le rendre moins original, moins riche.<br /></p>
<p>La deuxième a pour inconvénient la création d'un dénominateur commun, qui implique une tendance à l'uniformisation, puisque seules les parties d'idées partagées par les auteurs vont survivre au débat créatif.<br /></p>
<p>C'est la troisième option qui est évidemment la plus profitable au groupe de créateurs, mais la création d'une synergie requiert de rebondir sur les idées les uns des autres pour faire émerger de nouvelles choses - et donc d'accepter l'évolution de ses propres idées. L'ego est donc nécessaire pour avoir envie de créer, mais les créateurs en commun doivent être en mesure de dominer leur propre envie d'imposer leur vision de l'univers pour permettre à une création commune d'émerger de manière synergistique. Cet acte de synergie créatrice est relativement simple à organiser, à tel point que des gens en ont fait des jeux.<br /></p>
<p>Ainsi, <em>Panthéon</em> de Robin D. Laws, publié chez Hogshead Publishing, jeu de rôle narratif où les joueurs interprètent des dieux présidant à la construction d'un univers, ou encore le jeu (mais pas de rôle) au principe proche <em><a href="http://www.clanwebsite.org/games/rpg/Dawn_of_Worlds_game_1_0Final.pdf" hreflang="en">Dawn Of Worlds</a></em> (gratuit).<br /></p>
<p>Ce dernier jeu est particulièrement intéressant, dans la mesure où il s'agit de la transposition ludique de l'acte de création d'univers med-fan, destiné à un groupe de joueurs et leur meneur de jeu. Au cours d'une partie de <em>Dawn of Worlds</em>, les participants deviennent les démiurges de leur propre monde de jeu. Il s'agit donc d'une création commune d'univers mise sous la forme d'un jeu dont les règles encouragent la synergie.<br />
Chaque élément de l'histoire du monde est créé par un participant à tour de rôle, y compris la carte du jeu, au prix d'un certain nombre de points. Chaque participant influence la création d'un univers entier au cours de quelques heures de jeu.<br /></p>
<p>Une fois l'univers créé, il est connu de tous les participants, ce qui leur permet de créer des personnages, et de jouer dans cet univers.<br /></p>
<h2>Les méthodes de création d'un univers de jeu de rôles</h2>
<p>Plusieurs écoles s'affrontent, mais il n'y a pas de bonne ou mauvaise méthode, tant que l'objectif final n'est pas perdu de vue, à savoir "<em><strong>créer un univers délibérément incomplet propre à accueillir les aventures de personnages qui le feront évoluer</strong></em>".<br /></p>
<p>Beaucoup de trucs traînent sur internet, et la plupart fonctionnent d'une manière comparable en proposant un de faire un <strong>Inventaire</strong> : commencer par décider de l'ambiance voulue, puis des pays, de la géographie, puis des plantes, des animaux, etc. avec des variantes dans l'ordre. Ses avantages immédiats sont son efficacité et sa rapidité. Elle présente cependant tous les inconvénients d'une absence de profondeur initiale : pas de réflexion sur l'écosystème, réflexion superficielle sur les multiples évolutions politiques qui ont abouti aux civilisations en place - il faudra que ce soit fait a posteriori par l'auteur (s'il le fait !).<br /></p>
<p>Une autre manière d'aborder la création d'un univers de jeu est <strong>Chronologique</strong> : créer l'univers à partir de rien, commençant par la cosmogonie, en décidant sa géophysique, puis en faisant évoluer la géographie, la faune, la flore, les peuples, les civilisations et leurs croyances, etc. Avantage : le monde est très cohérent et riche. Inconvénient : il devient très long de créer l'univers, puisqu'il faut penser à la chronologie de toutes les civilisations, leurs influences, etc. C'est la méthode proposée par le jeu <em><a href="http://www.clanwebsite.org/games/rpg/Dawn_of_Worlds_game_1_0Final.pdf" hreflang="en">Dawn Of Worlds</a></em> précité, et elle fonctionne précisément parce qu'il y a plusieurs cerveaux en jeu qui permettent d'éviter le tarissement des idées.<br /></p>
<p>La méthode <strong>Antéchronologique</strong> est hybride des deux premières. Celle-ci consiste à créer l'univers de jeu dans son état actuel, façon inventaire, et ensuite de décider des événements et causes qui ont mené à ce monde, du plus récent au plus ancien. L'avantage est de donner une profondeur à un univers initialement construit de toutes pièces. L'inconvénient est une prise de risque de blocage à savoir, l'écueil de la situation irréconciliable, où il n'est pas possible logiquement de concevoir comment une situation s'est créée.<br /></p>
<p>La méthode <strong>Comparative</strong> consiste à créer l'univers à partir d'un autre univers comparable, en changeant un ou plusieurs détails, et en répercutant la totalité des ramifications et conséquences de ces détails changés sur l'univers de référence (ex : il y a deux soleils, les nazis ont gagné la guerre, etc). Avantage : la méthode permet d'explorer très efficacement les thématiques voulues par l'auteur. Inconvénient : encore faut-il que les menus changements aient un impact suffisamment significatif sur l'univers en train d'être créé pour être suffisamment distinct et original de l'univers de référence. Sinon, l'intérêt de la création devient discutable puisque ces différences sont au final essentiellement cosmétiques.<br /></p>
<p>La méthode <strong>Dynamique</strong> fonctionne de manière très différente : il n'y a pas d'autre univers de jeu que celui que les joueurs explorent, et que le meneur (et les joueurs) improvisent au fur et à mesure du déroulement de la partie de JdR. Le meneur de jeu et/ou les joueurs fixent ensuite sur le papier les éléments de l'univers de jeu qu'ils ont défini progressivement. Son avantage est sa simplicité et sa faible préparation. Ses inconvénients sont qu'elle est forcément très dépendante de la fréquence des parties de JdR, et de l'inspiration soudaine du meneur et des joueurs.<br /></p>https://blog.xyrop.com/post/%5BAide-de-jeu%5D-Cr%C3%A9er-un-univers-de-jeu-de-r%C3%B4le-%3A-pr%C3%A9requis-et-m%C3%A9thodes#comment-formhttps://blog.xyrop.com/feed/atom/comments/43