[Tactique de maîtrise] Maîtriser des scènes oniriques

Il peut arriver que des meneurs de jeu souhaitent faire interpréter aux joueurs les rêves de leurs personnages afin de favoriser leur immersion dans l'univers de jeu ou distiller des indices relatifs à l'intrigue. Introduire une telle scène onirique dans la narration a aussi un grand intérêt, en ce qu'elle donne une ambiance surnaturelle sans aucunement violer les lois de la réalité, puisque ce que semble vivre le personnage n'est qu'un rêve où tout est possible.

Le présent billet donne une série de conseils et principes directeurs destinés à optimiser l'impact des scènes oniriques sur les personnages et les joueurs.

Personnages concernés par la scène

Une scène onirique ne devrait, en théorie, jamais concerner directement qu'un seul et unique personnage-joueur à la fois. Ses rêves lui sont personnels, ce qui exclut normalement toute interaction avec les autres personnages-joueurs. Une telle interaction peut cependant avoir lieu dans deux cas :

  • le personnage-joueur n'est pas conscient de rêver, et croit interagir réellement avec un autre personnage-joueur. Il est dans ce cas possible voire souhaitable que le joueur incarnant l'autre personnage "joue le jeu" et interagisse dans le rêve. Si plus tard, à l'état de veille, le rêveur mentionne à l'autre personnage-joueur leur interaction lors de la séquence onirique, il faudra préciser à cet autre personnage-joueur qu'il n'a aucun souvenir de cette prétendue interaction. C'est normal : il n'était tout simplement pas dans le rêve du personnage-joueur endormi ;
  • des personnages-joueurs partagent leurs rêves ou leurs visions d'une manière ou d'une autre, par exemple par magie ou pouvoirs psychiques.

Durée de la scène

Comme le point focal d'une scène onirique est presque toujours un seul personnage-joueur, une telle scène ne devrait pas dépasser quelques minutes tout au plus, afin d'éviter que les autres personnages-joueurs ne décrochent de l'ambiance ou ne s'ennuient. Au pire, si la séquence devait s'avérer plus longue pour les versions de la narration, il faudrait trouver un moyen pour que les autres joueurs puissent jouer dans celle-ci (leur donner à jouer des PNJ n'appartenant qu'à l'univers onirique par exemple), ou leur permettre d'intervenir dans les conditions rappelées ci-avant. Une séquence très courte peut être extrêmement marquante en raison de son dynamisme, et de l'éventuel sentiment d'impuissance qu'elle peut provoquer chez le joueur.

Déclenchement de la scène

Dès que les personnages s'endorment, ils sont susceptibles de rêver. Il serait cependant pour le moins suspect de demander à un joueur si son personnage s'endort : Sa méfiance éveillée, le joueur serait capable de faire veiller son personnage toute la nuit. Quand les personnages-joueurs indiquent ne rien faire avant le lendemain, il est possible de déduire qu'à un moment ou à un autre, ils vont s'endormir et être susceptibles de vivre une situation onirique. De manière générale, il est préférable de ne déclencher une séquence onirique que quand tous les personnages-joueurs ont laissé entendre, implicitement ou explicitement, qu'ils s'endormaient. Si les joueurs ont organisé des tours de garde, c'est normalement l'un des joueurs endormis qui expérimentera les rêves de son personnage. Cependant, afin d'éviter d'amener la séquence de manière trop artificielle, ce qui en atténuerait l'impact, rien n'empêche le meneur de commencer la séquence onirique en "trichant" de la manière suivante : "Alors que tu fais ton tour de garde et que le feu de camp dans ton dos projette des ombres vacillantes sur les troncs d'arbres de la forêt, tu contemples avec étonnement une clairière baignée par le soleil, rafraîchie par un petit lac dans lequel de jeunes éphèbes nagent et s'ébattent."

Fréquence des scènes oniriques

Afin de rendre les séquences oniriques intéressantes sur la durée, il est préférable de ne pas les faire intervenir trop fréquemment, afin que les personnages-joueurs ne soient pas blasés par ces situations inhabituelles. De même, il est préférable qu'un seul personnage-joueur expérimente une séquence onirique par période de sommeil. Aussi, des séquences oniriques occasionnelles mais sans signification particulière évitent qu'un personnages-joueurs ne se focalise sur séquence onirique particulière parce qu'il s'agit de la seule séquence qui ait été jouée depuis un certain temps.

Abolition des règles

Les scènes oniriques, en ce qu'elles sont des manifestations des inconscients respectifs des personnages-joueurs ou de l'influence de pouvoirs magiques ou psychiques tiers sur ceux-ci, ne nécessitent pas que les règles de base du jeu soient respectées : tout est possible dans une séquence onirique, même l'impossible. Le respect apparent des règles du jeu apparaît alors, dans ce cadre, comme un outil destiné à donner au personnage-joueur l'impression qu'il est réveillé, ou qu'il dispose d'une marge de manœuvre réelle, comparable à celle dont il dispose quand il est éveillé.

Lignes directrices

Les séquences oniriques peuvent être courtes ou longues, anodines ou intenses, réalistes ou au contraire fantasmagoriques. Néanmoins, les rêves se caractérisent la plupart du temps par une ou plusieurs lignes directrices qui motivent l'action et l'implication du rêveur dans son propre rêve, et en assurent la cohérence. Par exemple, une personne préoccupée par le fait de retrouver un objet perdu pourrait faire un rêve dans lequel elle recherche cet objet à des endroits très improbables à travers le monde, rencontrant des amis dans des lieux inconnus, observant des créatures imaginaires, mais avec toujours pour thématique motrice le fait de retrouver l'objet perdu.

Utiliser une telle ligne directrice permet d'assurer une cohérence interne au rêve, tout en permettant aux événements de la scène onirique de prendre un tour complètement délirant par ailleurs. Pour plus d'intensité de la séquence onirique, la ligne directrice devrait porter sur un thème qui tient à cœur au personnage-joueur rêvant. Ceci permet également de placer une influence ou un indice éventuel de la partie comme élément de décor du rêve, et de ne pas attirer artificiellement l'attention du personnage-joueur sur cette influence ou ce message.

Ambiance et marge de manœuvre du personnage-joueur

La marge de manœuvre dont dispose un personnage rêvant est très variable. Il existe en effet des rêves sur lesquels le rêveur n'exerce pas de contrôle conscient, et dont il se limite à subir les événements. A l'inverse, certains rêveurs ont la capacité de prendre des initiatives voire de modifier consciemment certains détails de leurs rêves.

De la même manière, la marge de manœuvre d'un personnage-joueur rêvant devrait être variable, plus ou moins importante selon l'ambiance de la séquence onirique voulue par le meneur de jeu.

Dans le cas où la séquence onirique serait entièrement narrée par le meneur de jeu, sans interactivité, des joueurs pourraient se sentir frustrés de ne pouvoir que subir la séquence de manière comparable aux cinématiques des jeux vidéo. Cette manière de narrer une séquence onirique présente donc le risque de limiter le ressenti du joueur ou son investissement dans la séquence onirique. Ce mode de narration de la séquence permet toutefois au meneur de jeu de garder un contrôle total sur celle-ci et d'en limiter la durée si nécessaire.

Dans le cas d'une séquence où le personnage-joueur dispose d'une large marge d'action, l'investissement et le ressenti du joueur seront certainement plus intenses, mais ce mode de narration ralentit la narration, allongeant le temps d'inactivité des autres joueurs, et peut aboutir à une impasse narrative si le joueur se comporte de manière à « sortir » du rêve.

Le mélange de ces deux approches permet de faire varier l'ambiance de la séquence onirique.

Afin d'obtenir un rêve oppressant et intense, il est possible de laisser d'abord une certaine latitude au personnage-joueur dans la séquence, puis de resserrer sa marge de manœuvre au fur et à mesure de ses actions dans le rêve, afin de lui donner l'impression qu'il s'enferre dans une situation dont il ne peut plus sortir, et/ou qu'il perd le contrôle alors que les scènes désagréables s'enchaînent à un rythme qui va s'accélérant.

Afin de susciter au contraire un rêve positif, il est souhaitable de commencer par une narration peu interactive, puis d'augmenter progressivement le niveau de contrôle du personnage-joueur sur son rêve, améliorant sa marge de manœuvre et ainsi la gratification qu'il peut tirer du rêve.

Le basculement dans et hors d'un rêve

Idéalement, le basculement entre les séquences oniriques et les scènes réellement vécues par le personnage-joueur ne devrait pas être explicitement signalé par le meneur de jeu, mais venir de manière naturelle dans la narration.

En effet, les gens n'ont que rarement conscience de basculer de l'état de veille à l'état de sommeil. Par suite, il n'est pas nécessaire d'indiquer au personnage-joueur qu'il rêve, même si le joueur lui-même peut en prendre conscience, par exemple à cause d'un changement brutal et inexplicable du décor : Les rêveurs se comportent, dans leurs rêves, d'une manière qui leur semble naturelle.

Dans cette situation, le rêve pourrait naturellement commencer à l'endroit où le personnage-joueur s'est endormi, et croit être demeuré éveillé, ou encore à un endroit où il est normal que le personnage-joueur se trouve peu après son réveil.

Alternativement, tous les rêves ne brillent pas pas leur cohérence, et il est également loisible au meneur de jeu de plonger le personnage-joueur dans un univers onirique particulièrement différent de son quotidien.

Le meneur de jeu peut jouer sur le basculement de l'état de sommeil à l'état de veille en prétendant que le personnage-joueur « se réveille », alors que ce faux réveil est uniquement un élément de son rêve. Le personnage-joueur qui se croit réveillé alors qu'il ne l'est pas est dans un état de réceptivité particulière, propice à des descriptions marquantes ou des effets destinés à provoquer la fascination, la peur ou la surprise.

Ainsi, le "double réveil" : un personnage-joueur a fui, dans son rêve, un monstre affreux qui le poursuivait. Il se réveille en sursaut, va jusqu'à sa salle de bains, s'asperge le visage d'eau, prend une serviette pour s'essuyer. Quand il regarde dans le miroir ou ouvre le placard : "LA CRÉATURE EST LA !" Le meneur de jeu élève brusquement la voix dans le cadre de sa description pour surprendre et provoquer le retour brutal d'une tension extrême chez le personnage-joueur, qui, tout de suite après, se réveille vraiment en sursaut.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet