Xyrop - Mot-clé - propriété intellectuelle2024-02-29T08:30:42+00:00urn:md5:a569525ea7dae80655214b43ebf9d4d9Dotclear[Réflexion] Publier un scénario pour un JdR tiers préexistant ?urn:md5:4f17dd3d6bdf14fb08ab7108508d4c8d2019-04-25T19:10:00+02:002020-05-10T16:53:04+02:00Ludoxauteurcréationdroit d auteurlicencepropriété intellectuellescénarioéditeur<p>Bon, ce billet va encore parler de droit d'auteur, de droits patrimoniaux et de droits moraux, suite à une question qui m'a directement été posée sur un réseau social.
Comme ce sont des réflexions personnelles (basées sur mes vagues notions de droit d'auteur et le cas échéant un peu de jurisprudence), ce billet sera, comme d'habitude, brouillon et déstructuré, et ne saurait être utilisé à aucune fin de conseil ou d'avis juridique - sinon par des irresponsables et des fous.</p> <h2>Rappels sur les droits patrimoniaux, les droits moraux et les œuvres dérivées</h2>
<p>En droit français (et globalement dans les pays signataires de la convention de Berne), les auteurs disposent d'un monopole sur les droits patrimoniaux et de droits moraux sur les œuvres qu'ils créent.</p>
<p>Les droits patrimoniaux recouvrent les modalités d'exploitation économique des œuvres : le fait des les reproduire, de les représenter au public (souvent de manière payante), de les modifier, traduire, adapter, et de les distribuer. Le monopole d'exploitation de ces droits a une durée limitée par le droit (qui peut dépendre du territoire et de l'ordre juridique). Une fois cette durée atteinte, le droit est prescrit et l’œuvre entre dans ce que l'on appelle le "domaine public".</p>
<p>Les droits moraux (paternité, divulgation, respect de l'intégrité de l’œuvre, et droit de retrait / repentir) correspondent à la matérialisation juridique du lien entre l'auteur et son œuvre. Ils sont inaliénables et imprescriptibles, et peuvent le cas échéant être exercés par les ayant droits. Ainsi, "Les Misérables" de Victor Hugo est une œuvre littéraire entrée dans le domaine public de sorte que le monopole d'exploitation des droits patrimoniaux n'existe plus, mais la paternité de cette œuvre est encore attribuée à Victor Hugo.</p>
<p>L’œuvre dérivée est régie en droit français par l'article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), selon lequel "<em>Les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale.</em> ..." (la suite est intéressante, mais pas pour ce billet).</p>
<p>Notez bien, dans cet article, le "<em><strong>sans préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale</strong></em>", parce c'est le nœud de la réponse à la question posée dans le titre de ce billet.</p>
<h2>Qualification juridique du scénario pour un JdR tiers préexistant</h2>
<p>Un livre de JdR est une œuvre de l'esprit. Pour peu qu'il présente des caractéristiques suffisantes d'originalité, et qu'il ait fait l'objet d'une matérialisation (gravé dans le cuivre, peint sur tissu, écrit sur une feuille de papier, etc.), il est protégeable (et protégé) par le droit d'auteur.</p>
<p>Un scénario est une œuvre de l'esprit. Pour peu qu'il présente des caractéristiques suffisantes d'originalité, et qu'il ait fait l'objet d'une matérialisation, il est protégeable (et protégé) par le droit d'auteur.</p>
<p>Un scénario pour un JdR est normalement une œuvre <strong>dérivée</strong> de ce JdR. Cela signifie que conformément à l'article L. 112-3 du CPI précité, son auteur peut jouir de la protection de ses droits d'auteur (patrimoniaux et moraux) sur le scénario s'il respecte lui-même les droits (patrimoniaux et moraux) de l'auteur sur son JdR.</p>
<p>Quand le JdR et le scénario sont écrits par le même auteur, ça ne pose pas trop de problèmes : il s'assied sur un coin de table dans la cuisine, et se met d'accord avec lui-même en bouffant un hareng en boîte.</p>
<p>Quand le JdR et le scénario ne sont pas écrits par le même auteur, l'auteur du scénario ne peut jouir de la protection du droit d'auteur que si la divulgation au public et l'exploitation de son scénario ne portent pas atteinte aux droits préexistants de l'auteur du JdR sur ce JdR (droits moraux et droits patrimoniaux) : en clair, c'est faisable à condition d'avoir le droit d'écrire un tel scénario.</p>
<p>Dans le cas de JdR disponibles dans le commerce, les titulaires des droits moraux et droits patrimoniaux peuvent bien entendu différer : l'auteur restant titulaire des droits moraux (imprescriptibles et inaliénables), et l'éditeur exerçant, lui, les droits patrimoniaux de l'auteur sur le JdR.</p>
<h2>Comment publier un scénario de JdR tiers (du commerce) sans porter atteinte aux droits de l'auteur dudit JdR ?</h2>
<p>Deux voies alternatives permettent de s'assurer de disposer des droits d'écrire un scénario adapté à un JdR tiers, ceci sans porter atteinte aux droits exercés par son éditeur et son auteur :<br /></p>
<ol>
<li>S'assurer que le scénario ne peut pas, de près ou de loin, être considéré comme une œuvre dérivée du JdR préexistant auquel il est censé correspondre ;<br /></li>
</ol>
<ol>
<li>Acquérir (ou s'assurer de déjà posséder) le droit de créer et d'exploiter un scénario qui soit une œuvre dérivée du JdR préexistant.</li>
</ol>
<h3>Première voie : éviter que le scénario ne puisse être considéré comme une œuvre dérivée du JdR</h3>
<p>La première voie, la plus simple, consiste tout simplement à faire du scénario une œuvre <ins>complètement nouvelle</ins> et <ins>totalement indépendante</ins> du JdR tiers préexistant.</p>
<p>Pour cela, rien ne doit être repris de ce qui a été officiellement créé sur l'univers du JdR originel : il faut donc éviter de reprendre tout texte du JdR originel (règles ou description), mais également s'abstenir d'exploiter directement ou indirectement tous illustrations, pictogrammes, éléments de charte graphique, lieux, personnages, noms et termes spécifiques au JdR en question.</p>
<p>D'une certaine manière, il s'agit de créer un scénario parfaitement générique : il se passerait par exemple dans une petite ville frontalière dont le nom ne figure sur aucune carte du JdR, avec des personnages totalement nouveaux.</p>
<p>C'est la stratégie poursuivie par un certain nombre d'éditeurs, tels que, pendant un temps, <a href="http://www.legrog.org/editeurs/mayfair-games">Mayfair Games</a> avec sa <a href="http://www.legrog.org/jeux/ad-d-regles-avancees-officielles-de-donjons-et-dragons/ad-d-editeurs-tiers/wizards-1ere-ed-revisee-en">gamme RoleAids</a>, à une époque où Donjons & Dragons dominait considérablement le marché du JdR (<em>NdA : l'erreur de Mayfair Games fut d'utiliser la marque Dungeons&Dragons pour proclamer la compatibilité de ses suppléments avec D&D - ce qui lui valut un procès basé sur l'usage illégal de la marque - il était beaucoup plus difficile à TSR d'essayer de prospérer sur le fondement du droit d'auteur</em>).</p>
<p>Évidemment, une telle solution a quand même de forts inconvénients, dès lors que l'univers du JdR présente de trop grandes spécificités. En outre, la décalque peut être transparente et quand même laisser le champ à une revendication de l'éditeur / de l'auteur qui pourraient s'estimer lésés. Heureusement, il reste une deuxième voie.</p>
<h3>Deuxième voie : acquérir le droit de réaliser une œuvre dérivée du JdR original</h3>
<p>Pour éviter de porter atteinte aux droits de l'auteur sur le JdR préexistant en créant et exploitant une œuvre dérivée de celui-ci, il faut disposer des droits de créer et d'exploiter cette œuvre dérivée.</p>
<p>Il faut donc avoir été investi des <strong>droits patrimoniaux</strong> de traduire, adapter, transformer ou arranger l’œuvre originaire qu'est le JdR préexistant en un scénario nouveau et dérivé.</p>
<p>Le rédacteur du scénario doit donc, en principe, acquérir auprès de l'éditeur (quand il y en a un) ou de l'auteur (quand il y en a... euh...) un droit de reprendre tout ou partie des textes, illustrations, personnages originaux, éléments graphiques, descriptions de l'univers de jeu, des lieux, objets, croyances, éléments de diégèse (que j'aime ce terme pour remplacer "<em>background</em>" - et merci à <a href="http://portes-imaginaire.org/">Laurent Gärtner</a> pour sa question !), pour les adapter, les creuser et les détailler pour en faire un scénario.</p>
<p>Même dans le cas où un créateur rédige un scénario clairement destiné à un JdR du commerce particulier (le scénario n'est pas générique et fait clairement référence aux notions et mécanismes du JdR préexistant) sans pour autant reprendre aucun texte ou élément graphique du JdR original, il s'agit d'une œuvre dérivée, car le scénario œuvre nouvelle n'aurait jamais pu exister sans l'existence précédente du JdR sur lequel il se base. De fait, la jurisprudence a clairement tranché : "<em>la "suite" d’une œuvre littéraire se rattache au droit d’adaptation</em>" (<a href="https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/arret_n_9850.html">arrêt n° 125 du 30 janvier 2007 de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, n° de pourvoi 04-15.543</a>).</p>
<p>La concession de droits au créateur du scénario œuvre dérivée du JdR originel est d'autant plus nécessaire si le créateur du scénario souhaite lui-même exploiter commercialement le scénario dérivé du JdR originel : sinon, il est prévisible que l'éditeur, dans le souci légitime de protéger l'exploitation de l’œuvre dont il a acquis les droits patrimoniaux afin d'en tirer un profit économique, cherchera à empêcher la diffusion du scénario en question (et y parviendra sans mal).</p>
<p>L'éditeur concédera donc selon toute vraisemblance une licence (probablement avec une contrepartie payante) au créateur du scénario, encadrant les limites dans lesquelles le rédacteur du scénario œuvre dérivée du JdR original peut créer et exploiter son scénario en reprenant et ré-exploitant des composantes littéraires et/ou graphiques plus ou moins importantes du JdR original.</p>
<p>Cette autorisation peut déjà avoir été concédée a priori si le JdR a été publié sous une <a href="https://blog.xyrop.com/post/2019/02/08/Comprendre-licences-JdR">licence ludique libre</a>. Attention cependant dans ce cas à la distinction entre ce qui relève de l'identité du produit et du contenu ouvert : si le scénario se base sur des éléments relevant de l'identité du produit (et les univers de jeu relèvent le plus souvent de cette identité produit), alors il sort clairement du cadre de la licence ludique libre - et l'obtention d'une concession spécifique de droits patrimoniaux devrait être recherchée auprès de l'éditeur dans tous les cas, ne serait-ce que par sécurité.</p>
<p>En tout état de cause, une limite à la concession des droits patrimoniaux à un créateur de scénario (ou de l'inutilité de cette concession de droits patrimoniaux si l’œuvre originelle est dans le domaine public - enfin rassurez-vous, aucun auteur de JdR n'est décédé depuis plus de 70 ans, donc ce n'est pas encore près d'arriver) est la survivance des <strong>droits moraux</strong> imprescriptibles et inaliénables de l'auteur du JdR, qui pourrait de toute façon soulever, soit par lui-même, soit par l'intermédiaire de ses ayants droit, que le scénario porterait atteinte à l'un ou l'autre de ses droits moraux.<br />
Sauf à ce que cet auteur ou ses ayants droit parviennent à démontrer que le scénario dérivé vient semer un doute sur le nom de l'auteur du JdR préexistant (atteinte au droit au nom en prétendant par exemple que Pierre Rosenthal et Jean-Pierre Pécau ne seraient pas auteurs de Capitaine Vaudou) ou dénature l'œuvre originale (par exemple : "<em>- C'est un scénario pour Tails of Equestria avec des rhinocéros sodomites, et où les PJ découvrent un 7e élément d'harmonie qui est la coprophagie...</em>"), ce fondement juridique semble assez peu praticable dès lors que le créateur du scénario s'est assuré de disposer des droits patrimoniaux nécessaires à son acte de création.</p>
<p>Pour autant, et même s'ils disposent de cette faculté, il est rare qu'un éditeur ou un auteur s'opposent à une diffusion d'un scénario à titre gratuit pour un JdR préexistant dont ils détiennent les droits. En effet, le JdR n'est pas qu'une œuvre, mais également un produit.<br />
Dès lors, la diffusion de scénarios gratuits faits par des tiers pour son JdR participe de la communication autour de ce produit, et peut représenter un vecteur positif de communication et de pénétration de ce produit dans le marché - du moins tant que ce scénario ne reprend pas d'éléments littéraires ou graphiques issus du JdR originel. C'est ce qui explique la relative tolérance de ces éditeurs à l'égard des magazines, sites web et autres fanzines proposant des scénarios pour les jeux qu'ils éditent (dont l'auteur de ces lignes est assez convaincu que tous ne demandent pas d'autorisation ni de licence pour ce faire). Ces éditeurs pourraient parfaitement faire interdire ces publications, mais cela n'est pas dans leur intérêt.</p>
<h2>Conclusion</h2>
<p>Oui, il est possible de rédiger et publier de manière payante un scénario pour un JdR tiers préexistant, aux conditions :<br /></p>
<ol>
<li>de disposer des droits patrimoniaux pour ce faire en ayant reçu une concession de licence de la part de l'éditeur (ou le cas échéant de l'auteur) - ou à la rigueur en s'étant assuré que l'auteur ou l'éditeur ne fera pas usage des droits patrimoniaux dont il dispose pour s'opposer à la création de cette œuvre dérivée ;<br /></li>
<li>de ne pas porter atteinte aux droits moraux du ou des auteurs du JdR tels que le droit au nom (la paternité de l'auteur) ou le droit au respect de l'intégrité de l’œuvre.</li>
</ol>https://blog.xyrop.com/post/2019/04/05/%5BR%C3%A9flexion%5D-Publier-un-sc%C3%A9nario-pour-un-JdR-pr%C3%A9existant#comment-formhttps://blog.xyrop.com/feed/atom/comments/55[Réflexion] Le contrat de licence et le JdRurn:md5:35dd1306b8996442eeac51321d78c7a42019-02-08T19:30:00+01:002023-02-09T12:50:04+01:00Ludoxdroit d auteurlicenceOGLpropriété intellectuelle<h3>Faut-il signer un contrat de licence utilisateur final (CLUF) avant d'entrer dans le donjon ou d'invoquer Shub-Niggurath ?</h3>
<p><strong>Avertissement : la lecture préalable de <a href="https://blog.xyrop.com/index.php/post/2018/12/31/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-JdR">ce billet</a> puis de <a href="https://blog.xyrop.com/index.php/post/2019/01/09/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-non-applicable-JdR">ce billet</a> est <ins>fortement conseillée</ins> pour entrer en douceur dans le sujet (et y comprendre quelque chose si vous n'êtes pas juriste).</strong></p> <h2>Le contrat de licence et le bouquin de JdR</h2>
<h3>Qu'est-ce qu'un contrat de licence ?</h3>
<p>Le contrat de licence, c'est un contrat entre un titulaire des droits patrimoniaux (et parfois moraux) sur une œuvre et un tiers, qui vient fixer les conditions dans lesquelles ce tiers peut bénéficier de droits plus ou moins limités sur cette œuvre.</p>
<p>Le contrat de licence est une matérialisation physique de l'exercice du droit moral de divulgation de l'auteur (qui, seul - ou s'il est mort via ses ayants droit - a le privilège de décider de la manière dont son œuvre peut être divulguée - sachant que confier le soin à un éditeur de distribuer son œuvre est une manière tout à fait valable pour un auteur d'exercer son droit de divulgation).</p>
<p>En téléchargeant <strong>légalement</strong> un film, le consommateur acquiert une licence qui lui est concédée par l'éditeur du vidéogramme (ou le gestionnaire de la plate-forme). Cette licence prévoit la concession au bénéfice de ce consommateur d'un droit de représentation de l’œuvre. Ce droit de représentation est non-exclusif (il s'agit d'une concession et non d'une cession, de sorte que d'autres consommateurs peuvent en bénéficier), limité dans le temps, l'espace et possiblement à un matériel.</p>
<p>L'exception du cercle de famille lui permet d'excéder les limites théoriques de ce droit de représentation en en faisant bénéficier ses proches et intimes. En revanche, aucun droit de reproduction ni de distribution n'est accordé à ce consommateur : il lui est interdit d'enregistrer le film et d'en redistribuer des copies via son traqueur de torrents préféré.</p>
<p>Pour installer <a href="https://www.videolan.org">VLC Media Player</a>, l'utilisateur doit accepter le Contrat de Licence Utilisateur Final de ce logiciel. Le CLUF de VLC est un <strong>contrat de licence libre</strong>, qui a donc pour particularité de conférer des droits très étendus à l'utilisateur, si étendus qu'ils comprennent la totalité des droits patrimoniaux du titulaire : l'utilisateur peut reproduire, représenter (exécuter et faire exécuter le logiciel), modifier, adapter, traduire, et exploiter le logiciel en le distribuant à sa convenance, sous réserve de respecter les quelques contraintes figurant dans son contrat de licence.</p>
<h4>Y a-t-il des conditions particulières à un contrat de licence ?</h4>
<p>Pour être valable en droit français, une cession non-exclusive de droits patrimoniaux (c'est-à-dire une concession de droits, c'est-à-dire un contrat de licence) doit :</p>
<ul>
<li>être matérialisée par un écrit ;</li>
</ul>
<ul>
<li>être limitée dans le temps et l'espace ;</li>
</ul>
<ul>
<li>concerner une œuvre existante (il existe une interdiction de la cession des œuvres futures en droit français, mais nous dépassons ici le champ de ce billet) ;</li>
</ul>
<ul>
<li>faire l'objet d'une contrepartie (qui peut être l'intention libérale du titulaire des droits, mais qui dans ce cas doit être clairement précisée - cette intention libérale ne peut pas se présumer).</li>
</ul>
<p>Toutes les configurations de concessions de droits patrimoniaux d'auteurs sont imaginables dans le cadre des contrats de licence.</p>
<p>Ainsi, pour la traduction d'un ouvrage, le traducteur doit se voir concéder le droit patrimonial de traduction. Pour pouvoir reproduire cette traduction, il doit en outre se voir concéder le droit patrimonial de reproduction, qui peut être général ou au contraire précisément limité à la reproduction de la seule traduction, sur un support donné (papier, gravure dans le marbre, etc.).</p>
<p>Cependant, sans droit de distribution, ce concessionnaire des droits patrimoniaux de traduction et reproduction ne pourra rien faire de ces traductions ainsi reproduites.</p>
<h4>Peut-il y avoir un contrat de licence sans œuvre ?</h4>
<p>Théoriquement, non. En pratique, par abus de langage, certains prestataires de service font souscrire des contrats qualifiés de "contrats de licence" pour fournir certains services qui pour autant, quelle qu'en soit la raison (par exemple un défaut d'originalité), ne peuvent pas être qualifiés d’œuvre ou d'exercice de droits patrimoniaux sur une œuvre. Ce sont en réalité seulement de simples contrats de service.</p>
<p>Dans une certaine mesure, le contrat de licence devient un <strong>accessoire</strong> de l’œuvre qu'il régit. À mesure que l’œuvre circule de main en main, le contrat de licence l'accompagne et noue de manière systématique la relation contractuelle entre l'auteur et/ou titulaire et le possesseur de l’œuvre, régissant l'exercice des droits patrimoniaux qui sont éventuellement concédés à ce dernier.</p>
<h3>La licence du contenu d'un bouquin de JdR</h3>
<p>En vertu de l'article L122-2 du Code de la propriété intellectuelle :
"<em>Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : </em><br /></p>
<ul>
<li><em>1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ... </em><br /></li>
<li><em>7° Les œuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;</em> <br /></li>
<li><em>8° Les œuvres graphiques et typographiques ;</em> <br /></li>
<li><em>9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie ; ...</em> <br /></li>
<li><em>11° Les illustrations, les cartes géographiques ...</em>". <br /></li>
</ul>
<p>Les ouvrages de JdR, leurs illustrations, les cartes du monde, sont donc protégeables par le droit d'auteur (et protégés s'ils sont originaux).</p>
<p>L'exercice des droits patrimoniaux sur un ouvrage est réservé au titulaire (habituellement l'éditeur) de ces droits patrimoniaux. C'est lui qui va pouvoir directement ou indirectement reproduire, représenter publiquement, modifier, corriger, adapter, distribuer l'ouvrage.</p>
<p>La plupart du temps, ce titulaire ne place pas l'ouvrage sous une licence particulière, ni d'ailleurs sous aucune licence, car <strong>il n'est pas nécessaire pour l'acheteur-lecteur d'exercer des droits patrimoniaux pour pouvoir prendre connaissance du contenu de l'ouvrage</strong>.</p>
<p>En effet, prenons le cas d'un lecteur entrant en possession à titre définitif (il l'a acheté ou on lui a donné) ou précaire (il l'a emprunté) de l'ouvrage qui est le support physique de l'œuvre. Disposant désormais de ce support, il prend connaissance de l’œuvre qui s'y trouve en la lisant ou en contemplant ses illustrations. Il n'a aucun besoin de devenir concessionnaire d'un quelconque droit patrimonial. En effet, il n'exerce pas de droit patrimonial de reproduction, car lire l’œuvre ne suppose pas de la reproduire (sinon temporairement, à l'envers, sur la rétine au fond de l’œil... mais bien habile le juriste qui arrivera à plaider ceci). Le lecteur n'a pas besoin d'exercer de droit de représentation, parce qu'il ne divulgue pas l’œuvre au public en la lisant. Il n'a pas plus besoin de modifier, adapter, traduire, ou distribuer l’œuvre.</p>
<p>Il n'est donc pas besoin de licence concédant des droits patrimoniaux pour lire un ouvrage appartenant à une gamme de JdR. Mais est-il besoin des droits patrimoniaux pour le faire jouer ?</p>
<p>Pour présenter à un public une illustration d'un ouvrage de JdR ("<em>– Bon, regarde cette page du bestiaire XLII de Pathfinder, c'est cette créature qui se jette sur toi ! – C'est... Attends, c'est un <ins>golem de gélatine colorée</ins> ? – Exact ! Un Haribolem ! Jet de réflexes DD 16 pour ne pas t'étouffer avec une fraise Tagada...</em>"), il faut disposer en principe du droit de représentation. Toutefois, l'exception du cercle de famille permettant de s'en passer, les éditeurs n'indiquent habituellement pas de licence concédant ce droit, ni d'autorisation expresse relativement à ces illustrations.</p>
<p>En revanche, les feuilles de personnage sont destinées à être reproduites, même sans divulgation publique. Il faut donc, pour légalement reproduire une feuille de personnage, être capable de l'exercice du droit de reproduction - d'où la mention presque systématique "<em>la photocopie pour un usage strictement personnel est autorisé</em>" en pied de page des feuilles de personnage dans les ouvrages de JdR, qui vient poser les conditions et limites de l'exercice de ce droit de reproduction.</p>
<p>Traditionnellement, auteurs et éditeurs négligent de placer le reste de leur ouvrage sous une licence concédant au possesseur de leur ouvrage des droits patrimoniaux particuliers.</p>
<p>Cependant, certains auteurs ont divulgué leurs ouvrages de JdR sous licence. La mode a commencé avec Donjons & Dragons 3e édition, et ne s'est pas démentie depuis.</p>
<h4>Je ne suis pas un numéro, je suis un JdR libre : la licence OGL 1.0a</h4>
<p>En 2000, coup de théâtre dans le petit monde du JdR : les règles de la troisième édition de Donjons & Dragons (ci-après "D&D3") sont sous une licence très particulière, la licence OGL (pour <em>Open Gaming License, version 0.1a</em>), inspirée de la licence GNU General Public License (applicable aux logiciels d'ordinateurs).</p>
<p>Cette licence est particulière car il s'agit d'une licence hybride entre une licence propriétaire, qui conserve certaines parties de D&D3 dans le champ du privilège d'exploitation du titulaire des droits (ces parties sont appelées "<em>Product Identity</em>" - "identité du produit" selon la licence), et concède la totalité des droits patrimoniaux au lecteur sur le reste de D&D3 ("<em>Open Content</em>" - "contenu ouvert" selon la licence) sous réserve du respect par celui-ci d'une obligation de réciprocité ("<em>copyleft</em>").</p>
<p>Cette licence permet à tout bénéficiaire des règles de D&D3 de pouvoir réutiliser les "briques" de contenu ouvert, de les modifier, les altérer, les republier, mais sous réserve (c'est l'essence de l'obligation de réciprocité) que les œuvres dérivées de ces briques soient elles-mêmes publiées sous la même licence OGL 1.0a, avec l'affichage explicite du texte de la licence, la conservation des mentions de paternité de la totalité des auteurs et éditeurs dont des travaux relevant du contenu ouvert ont été repris de près ou de loin, ainsi qu'une distinction claire entre ce qui est du contenu ouvert et de l'identité du produit.</p>
<p>Conséquence de cette licence, la plupart des auteurs et éditeurs peuvent exploiter commercialement des contenus pour D&D3, le jeu de rôle le plus populaire, et ainsi bénéficier de cette locomotive commerciale, tout en s'inspirant les uns des autres. Wizards of the Coast, alors éditeurs de D&D3, y gagne en exploitant commercialement non pas les règles mais les marques d20 et Donjons & Dragons (qui permet de faire payer les éditeurs tiers et rend indispensable le fait d'acquérir le Manuel du joueur de D&D3 pour jouer avec les suppléments de ces éditeurs tiers), et en augmentant la pénétration du système de jeu de son produit phare grâce aux autres ouvrages estampillés OGL (mais pas d20).</p>
<p>Le choix d'une telle licence présentant des aspects comparables à ceux des licences libres <em>copyleft</em> en a fait un levier déterminant de pénétration du marché du JdR et d'extension de celui-ci, ce qui, couplé à une puissance marketing considérable, a permis rapidement à Wizards de dominer le marché de niche du JdR, avec un succès fulgurant. La profusion des suppléments de qualité variable pour D&D3 a d'ailleurs fini par saturer le marché (qui s'est effondré ensuite, mais ceci dépasse le sujet de cet article). Pour autant, la licence OGL 1.0a est toujours vivace, puisque la 5e édition de Donjons & Dragons est régie par cette licence.</p>
<p>Selon la licence OGL 1.0a, les droits sur le contenu ouvert ("<em>Open Content</em>") concédés à tout bénéficiaire par la licence OGL 1.0a recouvrent la totalité des droits patrimoniaux pouvant être exercés par le titulaire des droits. Le bénéficiaire peut donc librement, sous réserve de conserver les œuvres dérivées de ce contenu ouvert sous la licence OGL, reproduire, représenter, modifier, corriger, arranger, traduire, et redistribuer le contenu ouvert, modifié ou non, à des tiers.</p>
<p>Comme c'est le cas pour toutes les licences libres, l'autorisation du titulaire original est en réalité une offre générale destinée au public d'entrer dans une relation contractuelle avec lui pour l'usage et la réutilisation de l’œuvre régie par la licence. En acquérant, lisant, réutilisant l'ouvrage sous licence OGL 1.0a et en en respectant les stipulations, tout individu accepte l'offre de contracter matérialisée par la licence. La rencontre entre offre et acceptation forme le contrat, et ce lecteur / réutilisateur devient bénéficiaire de la licence et concessionnaire des droits patrimoniaux dans les conditions qui ont été fixées par le titulaire des droits.</p>
<p>La rencontre des volontés ne requiert aucun nouvel acte positif de confirmation de la part du titulaire : une fois la divulgation faite sous licence OGL 1.0a d'un texte défini comme contenu ouvert (et non identité produit), cette divulgation est en principe irréversible (en droit français, du moins - en droit du copyright US, la notion de licence étant différente, c'est un peu plus complexe), et le titulaire ne peut plus s'opposer aux utilisations et réutilisations qui seraient faites de ce contenu ouvert dès lors qu'elles sont respectueuses de la licence OGL 1.0a et des droits moraux des auteurs.</p>
<p>C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la publication d'un ouvrage de JdR sous un contrat de licence OGL 1.0a, il est indispensable de :</p>
<ul>
<li>préalablement mettre en œuvre une analyse minutieuse des éléments devant relever de l'identité du produit ("<em>Product Identity</em>") et ceux devant relever du contenu ouvert ("<em>Open Content</em>"). Ceci vise à éviter, de manière conforme à la stratégie du titulaire des droits, la divulgation comme contenu ouvert des textes et graphismes devant relever de l'identité du produit, et inversement. Ceci vise aussi à éviter la divulgation comme contenu ouvert d’œuvres ou parties d’œuvres sans que leur divulgateur soit titulaire de droits patrimoniaux suffisants à cet effet (ce contre quoi le bénéficiaire est d'ailleurs mis en garde par la licence elle-même à son article 5) ;</li>
</ul>
<ul>
<li>identifier et énumérer avec précision, dans la section de la licence OGL 1.0a destinée à cet effet, les parties de l’œuvre devant relever de l'identité du produit et celles devant relever du contenu ouvert - chapitre par chapitre, voire illustration par illustration et paragraphe par paragraphe. Ceci a pour objet de permettre aux sous-bénéficiaires qui auront accès à l'ouvrage de distinguer précisément l'assiette des droits qui leur seront concédés en vertu de la licence OGL 1.0a ;</li>
</ul>
<ul>
<li>identifier avec précision, dans la même section, les parties de l’œuvre qui dérivent d'un contenu ouvert préexistant au sens de la licence OGL 1.0a et énumérer les mentions de paternité ("<em>COPYRIGHT NOTICE</em>" au sens de la licence OGL 1.0a) des auteurs et/ou des titulaires des droits patrimoniaux sur les contenus ouverts ainsi réutilisés. La licence OGL 1.0a indique précisément le contenu de la mention de paternité à apposer dans son article 6 "<em>Notice of License Copyright</em>". Les lecteurs seront libres de réutiliser le contenu ouvert de cet ouvrage sous les conditions de la licence, et devront donc récapituler la totalité des mentions de paternité figurant à la fin de la licence (ce qui peut faire de nombreux paragraphes).</li>
</ul>
<h4>Mais moi, je suis un créatif ! Un artiste, môssieur !</h4>
<p>Évidemment, il n'y a pas que la licence OGL 1.0a qui permette l'exercice par un tiers de droits patrimoniaux sur le contenu d'un ouvrage de JdR : il ne s'agit que de l'exemple le plus connu et le plus populaire dans le petit monde de l'édition rôlistique sous licence.</p>
<p>En effet, Hasbro a choisi une licence différente (et nettement plus restrictive) pour publier la 4e édition de Donjons & Dragons, ceci avec le succès que l'on sait (/ironie).</p>
<p>De même, nombreux sont les auteurs indépendants qui publient leurs créations sous l'une ou l'autre des licences Creative Commons. De nombreux sites présentent en détail cette famille de contrats de licence, plus ou moins libres et plus ou moins ouverts (les licences ND & NC sont des licences non libres, non ouvertes, par exemple), et je vous invite à <a href="http://creativecommons.fr/licences/" hreflang="fr">vous référer à cette explication plutôt claire</a>.</p>
<p>Pour résumer si vous avez eu la flemme de cliquer sur le lien précédent, la licence <em>CC-By-SA</em> fait pour la totalité d'une œuvre ce que la licence OGL 1.0a fait pour la seule partie de cette œuvre identifiée comme contenu ouvert, et la licence <em>CC-By</em> permet l'utilisation sans limite de la totalité des droits patrimoniaux sur l’œuvre par tout bénéficiaire (les droits moraux sont gérés avec le "<em>By</em>").</p>
<h2>Exercer des droits sans licence</h2>
<p>En l'absence de licence, est-il possible de créer de toutes pièces un JdR dérivé d'une œuvre préexistante (JdR ou non) ? Un individu peut-il soudainement décider d'écrire un ouvrage entier "Matrix RPG" et le publier commercialement ou non sans que les titulaires et les auteurs de l’œuvre originelle ne lui tombent dessus comme la vérole sur le bas-clergé breton ?</p>
<p>La question (avec un JdR préexistant) a déjà été effleurée mais n'a pas été vraiment tranchée dans une décision (certes de droit anglo-saxon) <a href="http://www.darkshire.net/jhkim/rpg/copyright/cases/tsr_vs_mayfair.txt" hreflang="en">TSR, Inc. v. Mayfair Games, Inc., 1993 WL 79272 (N.D. Ill.)</a>. Cette décision condamne Mayfair Games dans le cadre d'un accord commercial incluant une concession de marque entre TSR et Mayfair Games. La partie basée sur le droit d'auteur est quasi-nulle, et cette décision n'a pas d'autre intérêt que de présenter des considérations sur la fin de non-recevoir à l'anglo-saxonne basée sur le non-exercice d'un droit pendant une longue période - "<em>laches</em>" - ce qui est peu pertinent pour la question qui nous occupe.</p>
<p>Sur le principe, rien n'empêche quiconque d'écrire et publier quelque ouvrage que ce soit, sous réserve de ne pas porter atteinte :</p>
<ul>
<li>à l'ordre public (par exemple, un supplément sauvage pour In Nomine Satanis qui prônerait clairement l'élimination physique des handicapés et des gendarmes et la pratique de la zoophilie en public porterait atteinte à l'ordre public) ;</li>
</ul>
<ul>
<li>aux droits de tiers (et c'est sur cette deuxième condition que les choses commencent à se compliquer).</li>
</ul>
<p>Concernant ces droits de tiers qui viendraient limiter la liberté d'écrire le nouveau JdR (l’œuvre nouvelle), on peut certes penser aux droits d'auteur patrimoniaux, qui en l'absence de licence interdisent à l'auteur de l'ouvrage sauvage de reprendre les textes, descriptions, illustrations, et possiblement maquette figurant dans l’œuvre originelle.</p>
<p>Les auteurs peuvent également tenter de s'opposer à cette œuvre dérivative (mais pas forcément dérivée) sur la base de leurs droits moraux, en soutenant que la teneur de l’œuvre nouvelle porterait atteinte au respect dû à l’œuvre originelle, ou encore à leur droit au nom si l’œuvre nouvelle tend à nier le lien de paternité entre les auteurs / titulaires originaux et l’œuvre originelle.</p>
<p>Au nombre des fondements pour s'opposer à ce supplément sauvage, on trouve également le droit des marques si le titulaire des droits sur l’œuvre originelle a déposé son titre ou des noms précis comme marques. De même, se pose la question de la concurrence déloyale (via des actes de parasitisme tendant à créer une confusion dans l'esprit des acheteurs non avertis) faite à l’œuvre originelle.</p>
<p>Mis à part la contestation basée sur le parasitisme qui vise non pas l’œuvre nouvelle mais le comportement de son auteur, le rédacteur d'un JdR ou supplément sauvage peut tenter de limiter la casse en s'assurant :</p>
<ul>
<li>de n'utiliser aucune marque déposée, ni aucun nom trop "caractéristique" de l’œuvre originelle (à votre avis, pourquoi les Hobbits s'appellent "Hafelins" dans Donjons & Dragons ?) ;</li>
</ul>
<ul>
<li>de ne reprendre aucun texte ni illustration, ni même s'en inspirer de loin ou de près au niveau graphique ;</li>
</ul>
<ul>
<li>de ne reprendre aucun élément trop évident d'intrigue (même si <a href="https://next.liberation.fr/culture/1995/09/22/fin-de-l-affaire-de-la-bicyclette-bleue_142672" hreflang="fr">la jurisprudence peut s'avérer bienveillante</a>) ;</li>
</ul>
<ul>
<li>de ne permettre qu'aucune confusion ne s'installe entre l’œuvre originelle et l’œuvre nouvelle, en partant du principe que l'aune à laquelle cette confusion sera appréciée est l'intelligence d'un enfant de 5 ans légèrement déficient (celle du "<em>bon père de famille</em>").</li>
</ul>
<p>Bref, <strong>un tel comportement n'est possible que si l’œuvre nouvelle ne peut pas être reconnue de près ou de loin une œuvre dérivée de la première</strong>. Ainsi, en son temps, l'éditeur West End Games réutilisait les textes et créations refusées (ou impossibles à faire accepter) par Lucasfilm Ltd. pour le jeu de rôle de la Guerre des Étoiles D6 dans sa propre gamme <a href="http://www.legrog.org/jeux/shatterzone">Shatterzone</a>, en modifiant les noms des factions et éléments trop évidemment reconnaissables de l'univers étendu.</p>
<h3>Les sanctions</h3>
<p>L'individu qui exerce sur une œuvre des droits patrimoniaux réservés au titulaire ou moraux réservés à l'auteur est dans une situation de violation de droits d'auteurs.</p>
<p>Cette situation porte le nom de contrefaçon, et peut engager non seulement sa responsabilité civile à l'égard des tiers dont les droits ont été lésés, mais également sa responsabilité pénale car l'exploitation d'une contrefaçon constitue un trouble à l'ordre public.</p>
<p>L'alinéa 1 de l'article L.335-2 qui régit cette situation de violation dispose d'ailleurs : "<em>Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit.</em>"</p>
<p>L'alinéa 1 de l'article L335-3 dispose en outre : "<em>Est <a href="https://blog.xyrop.com/post/2019/02/08/..." title="...">...</a> un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi.</em>"</p>
<p>La violation d'un contrat de licence implique l'exercice de droits patrimoniaux sur une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, et constitue donc un délit de contrefaçon (et de même, l'exercice des droits moraux sur une œuvre de l'esprit en violation de l'auteur constitue également un délit de contrefaçon mais ce n'est pas ce qui nous occupe dans ce billet).</p>
<p>Les alinéas 2 et suivants de l'article L.335-2 précisent les sanctions de la contrefaçon : "<em>La contrefaçon en France d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.</em>
<em>Seront punis des mêmes peines le débit, l'exportation, l'importation, le transbordement ou la détention aux fins précitées des ouvrages contrefaisants.</em>"</p>
<p>La violation d'un contrat de licence est donc une situation de contrefaçon, avec des conséquences potentiellement graves pour le contrefacteur.</p>
<p>Mais ce n'est pas tout : les œuvres contrefaites (c'est-à-dire les œuvres résultant de l'exercice illégitime par un tiers de droits d'auteur dont il n'est pas titulaire) ont une particularité supplémentaire. Elles sont en effet <em><ins>hors commerce</ins></em>. Cela signifie qu'elles ne peuvent légitimement faire l'objet d'aucun acte juridique de disposition, location, prêt, vente, service, transformation, etc. À cet effet, voir <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007048523&fastReqId=225171209&fastPos=1">Cass. com. 24 septembre 2003, Société C.C.P. c/ Société Ginger</a>, qui rappelle clairement que "<em>la marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente</em>".</p>
<p>Autrement dit, un ouvrage de JdR réalisé en violation des droits d'un auteur ne peut plus faire l'objet d'une quelconque exploitation, de quelque nature que ce soit, sans une régularisation rétroactive de l'illicéité de l'exercice illégitime des droits de l'auteur par le tiers contrefacteur.</p>
<h2>Le contrat de licence et la partie de JdR</h2>
<h3>Œuvre ou pas œuvre, quel impact ?</h3>
<p>L'impact du contrat de licence (ou de l'absence de contrat de licence) est différent selon la qualification juridique que l'on peut accorder à une partie de JdR.</p>
<p>Si la partie de JdR est une <a href="https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-JdR">œuvre et/ou l'exercice d'un droit de représentation</a>, le fait de ne pas concéder de droits permet d'interdire par principe et par ce biais de contrôler juridiquement toute exploitation publique de ce JdR (démonstrations publiques, conventions, clubs, vidéos streamées).</p>
<p>Cela signifie également que l'exploitation publique d'une partie d'un JdR divulgué sous licence OGL 1.0a peut porter atteinte aux droits des titulaires de ce JdR si les éléments qui figurent dans la partie sont des éléments faisant partie du périmètre de l'Identité du produit ("<em>Product identity</em>") au sens de la licence OGL. Sans accord des ayants droit sur les éléments désignés comme relevant de l'identité du produit, alors l'exploitation publique de la partie de JdR basée sur lesdits éléments est une activité mise en œuvre en violation des droits de l'auteur.</p>
<p>En revanche, si la totalité des éléments de la partie publiée relèvent exclusivement des contenus ouverts au sens de la licence OGL 1.0a, alors l'exploitation publique de la partie de JdR ne constitue aucune violation de la licence.</p>
<p>Si la partie de JdR <a href="https://blog.xyrop.com/post/2019/01/09/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-non-applicable-JdR">n'est pas une œuvre ni l'exercice d'un droit de représentation,</a>, toute licence serait de toute manière superfétatoire, et toute interdiction d'usage public impossible (sous réserve que cette exploitation ne porte pas atteinte aux droits des titulaires et/ou auteurs du JdR lui-même).</p>
<h3>Systématiser l'existence d'un contrat de licence ?</h3>
<p>Il n'est nul nécessité de publier tous les ouvrages de JdR sous licence OGL 1.0a ou Creative Commons. En revanche, si l'on part du principe que la partie de JdR exploitée publiquement (par vidéogramme / démo / club / convention) est une œuvre protégeable par le droit d'auteur, alors il semble de bonne politique ou à tout le moins raisonnable de prévoir un contrat de licence à cet effet dans chaque ouvrage de JdR : ceci permet au titulaire des droits de contrôler (ou au contraire d'ouvrir à sa convenance) l'exploitation publique de l’œuvre réalisée par des tiers, en précisant explicitement les conditions de réutilisation des éléments de l'ouvrage.</p>
<p>Par exemple, on peut imaginer qu'un auteur pourrait interdire que soit joué publiquement un scénario qui révèle certains secrets du background, ou exiger que soient cités les auteurs avant chaque partie publique (d'ailleurs, j'ai déjà pu remarquer des youtubeurs faire exactement cela en ouverture de leur vidéo).</p>
<p>Il s'agit ni plus ni moins que d'une méthode efficace pour préserver les intérêts économiques des ayants droit sur un ouvrage de JdR tout en assurant clairement la sécurité juridique tant des MJ et joueurs qui entendent exploiter publiquement les parties de JdR basées sur ces ouvrages que des tiers qui pourraient souhaiter créer des œuvres dérivées basées sur ledit ouvrage.</p>
<h2>Peut-on faire signer un contrat de licence avant une partie de JdR ?</h2>
<p>Mais si la partie de JdR est vraiment une œuvre plurale, cela ne signifie-t-il pas que les différents participants pourraient parfaitement choisir de régir la divulgation de leur création par un contrat de licence ?</p>
<p>Si l'on part du principe qu'un joueur ou un MJ font acte de création au cours de la partie, en matérialisant une idée originale, ils disposent donc en théorie des prérogatives de l'auteur sur le résultat de leur création.</p>
<p>Autrement dit, rien ne semble empêcher le participant à une partie de JdR de subordonner l'exercice des droits patrimoniaux sur sa création (ou sa part de création) à l'acceptation d'un contrat de licence.</p>
<p>Dans une telle hypothèse, la réponse à la question "<em>peut-on signer un contrat de licence avant d'entrer dans le donjon ?</em>" est (aussi inconcevable que cela puisse d'ailleurs paraître) <strong>OUI</strong>.</p>
<p>Quelles conséquences à ce oui ?</p>
<p>En organisant eux-mêmes leurs droits patrimoniaux via un accord de licence (impliquant par exemple des cessions non-exclusives croisées), les participants ont la possibilité de redéfinir titularité et conditions d'exercice ces droits patrimoniaux d'une manière différente de celle prévue par le droit commun.
Ainsi, les participants peuvent décider d'une co-titularité (permettant à chaque participant d'exercer de manière indépendante la totalité des droits patrimoniaux sur la partie de JdR-œuvre dans son ensemble) au lieu de se retrouver dans la situation de droit commun d’œuvre de collaboration ou d’œuvre collective. Ils peuvent également souhaiter fixer la licence applicable à l’œuvre plurale.</p>
<p>Ce type de contrat se rapproche des accords-cadre de contribution ("<em>contributor licensing agreement</em>"), pratique courante dans le cadre du développement de logiciels libres, où les contributeurs s'engagent à céder de manière exclusive ou non les droits patrimoniaux sur leur création (habituellement du code source) à l'organisation titulaire des droits sur le projet auquel ces contributeurs veulent participer. Ces types d'accord-cadre peuvent inclure des obligations à la charge du (con-)cessionnaire des droits patrimoniaux, telles que par exemple le fait de publier l’œuvre plurale résultant de la fusion des contributions tierces sous une licence libre.</p>
<p>J'ouvre immédiatement une parenthèse destinée aux juristes pour préciser que ces types de contrats ne tombent pas dans le cas de la nullité de la cession globale d’œuvres futures, dans la mesure où les modalités de la cession ne sont effectives que pour les créations que le contributeur souhaite céder auxdites modalités : il n'est nulle obligation pour le contributeur de créer des œuvres, ni de les céder obligatoirement à l'organisation, mais s'il choisit de le faire, alors il sera tenu par les stipulations de l'accord-cadre.</p>
<p>Articulant cette logique avec celle de la licence OGL et des licences Creative Commons rappelée plus haut, rien n'empêche d'imaginer que des participants à une partie de JdR puissent convenir par contrat de la licence applicable à leur création plurale en même temps qu'ils en désignent le titulaire, voire qu'ils décident contractuellement que le MJ devra fournir plus de points d'Xp en contrepartie de la cession des droits patrimoniaux à son bénéfice.</p>
<p>En conclusion, la qualification de la partie de JdR comme œuvre plurale rend cette approche possible. Quant à savoir si un tel encadrement contractuel des parties de JdR (dont l'aboutissement logique serait la plate-forme de MJaaS "<em>MJ as a Service</em>" pour la livraison de votre campagne en moins de 30 minutes) est souhaitable, il appartient à chacun d'en décider.</p>
<p>UPDATE : Pour une licence ludique de droit français relativement concise et spécialement conçue pour les systèmes de jeu, vous êtes encouragés à utiliser la <a href="https://blog.xyrop.com/post/2023/01/22/%5BR%C3%A9flexion%5D-Licence-TGCM-v0.3">licence Triskell : Gestion Contractuelle des Mécaniques de jeu</a></p>https://blog.xyrop.com/post/2019/02/08/Comprendre-licences-JdR#comment-formhttps://blog.xyrop.com/feed/atom/comments/24[Réflexion] Le droit d'auteur applicable aux parties de JdR : antithèse et conséquences.urn:md5:ef903d0b97b891264c31beeb5251bab52019-01-09T20:30:00+01:002023-02-09T12:47:49+01:00Ludoxdroit d auteurJdRJeu de rôlepropriété intellectuelle<p>Le <a href="https://blog.xyrop.com/index.php/post/2018/12/31/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-JdR">précédent billet</a> présentait les différentes qualifications juridiques potentiellement applicables à une partie de JdR.
Ce billet vient explorer les causes et les conséquences de l'absence d'applicabilité du droit d'auteur à une partie de JdR : bref, que se passe-t-il si aucune des qualifications précédemment proposées n'est valable, et que le droit d'auteur n'est <strong>pas</strong> applicable aux parties de JdR ?
Si vous avez vu "<em>Ridicule</em>" de Patrice Leconte, vous serez sans doute tenté de me traiter de "<em>philosophe</em>", mais n'oubliez pas que le personnage dont vous reprenez la réplique finit par (SPOILER) perdre la tête (FIN DU SPOILER)... mais on parle quand même de Louis XVI là...</p> <h2>Les causes possibles de la non-protection de la partie de JdR par le droit d'auteur</h2>
<p>Pourquoi les qualifications proposées dans l'article précédent ne pourraient-elles pas s'appliquer ?</p>
<h3>La partie de JdR, pas une œuvre ?</h3>
<p>Si la partie de JdR n'est pas protégeable par le droit d'auteur, c'est qu'elle ne remplit pas les conditions requises pour être une oeuvre de l'esprit protégeable par le droit d'auteur.
<a href="https://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/conditions-protection-uvres-esprit-droit-3916.htm" hreflang="fr">Ces conditions sont rappelées (et détaillées) ici</a>. Elles sont :</p>
<ul>
<li>la matérialisation de la création d'une œuvre dans une forme concrète ;</li>
<li>l’originalité de l’œuvre.</li>
</ul>
<h4>Absence de matérialisation d'une création sous une forme concrète</h4>
<p>Si la partie de JdR n'est pas une œuvre, c'est possiblement par l'absence de forme figée de la matérialisation : la forme concrète ne l'est peut-être précisément pas parce que, finalement, "tout se passe dans la tête des participants".
Les dialogues (et parfois gestes), les quelques illustrations visuelles ou sonores faites par le MJ mis à part, l’œuvre dans son entièreté n'est matérialisée que de manière tangentielle, via l'écoute des descriptions et des échanges.</p>
<p>Dans ce cas, la notion de "forme concrète" semblerait manquante.</p>
<p>Cette position sévère apparaît toutefois critiquable puisqu'un conte inventé de toutes pièces, raconté spontanément à un public, ou bien une pièce de théâtre d'improvisation, sont sans nul doute des œuvres de l'esprit et remplissent cette condition malgré l'absence de caractère écrit.</p>
<h4>Absence d'originalité</h4>
<p>Critère nettement plus difficile à remplir, l'originalité de la partie de JdR peut être remise en cause de plusieurs points de vue :</p>
<ul>
<li>d'une part, le fait que sauf exceptions, la trame d'un jeu / scénario commerciale reste globalement assez suivie par les joueurs (et le MJ qui la met en scène), et reste dans des chemins assez (voire très) balisés et convenus, tant dans le déroulement de l'intrigue que dans l'interprétation des personnages. Des participants (MJ et joueurs) différents mais jouant le même scénario livreront souvent un résultat narratif très semblable, et même parfois avec des comportements qu'ils pensent novateurs mais qui sont en réalité prévisibles ;</li>
</ul>
<ul>
<li>d'autre part, les règles du jeu viennent contraindre parfois fortement l'effort commun de création collective de la narration par les participants, d'autant qu'une partie de la narration ne résulte pas nécessairement d'apports intellectuels de la part des participants, mais tout simplement du hasard des dés dont la marge d'interprétation des conséquences peut rester très limitée.</li>
</ul>
<p>Ces deux critiques de l'originalité sont encore plus vraies dans le cadre d'un scénario "bateau" ("<em>- Oh ! Le prince a encore été enlevé par des barons rebelles !</em>") ou d'un "donjon PMT" qui peut se rapprocher considérablement d'un jeu de plateau - jusqu'à parfois en franchir la limite comme pour la 4e édition de Donjons & Dragons (/PROVOCATION).</p>
<h3>La partie de JdR non-représentation ?</h3>
<p>Si le JdR est avant tout un jeu et si la narration partagée, constituée de dialogues, qui résulte de la partie est, techniquement, le fruit de la mise en œuvre mécanique des règles du jeu, est-ce vraiment la représentation d'une œuvre ?</p>
<p>On peut se poser la question avec d'autant plus d'acuité qu'existent des jeux comme "<em>Il était une fois...</em>" qui aboutissent à une narration complète (bien que décousue), ou des jeux non pas "de rôle" mais "à rôles" comme "<em>Résistance</em>", "<em>les Loups-Garous de Thiercelieux</em>", "<em>Oui, Seigneur des Ténèbres</em>" qui aboutissent à nombre de dialogues et échanges plus ou moins ambiancés.</p>
<p>Est-ce que les parties de ces jeux sont la représentation des œuvres préexistantes ? Cela ne semble pas être le cas pour ces jeux en raison de l'aléa fort du tirage des cartes ("<em>Il était une fois...</em>", "<em>Oui, Seigneur des Ténèbres</em>") qui excluent toute trame narrative préexistante dont la partie serait la représentation, et du caractère totalement schématique et archétypal de la narration toujours identique qui ne sert qu'une mécanique d'identification et d'élimination ("<em>Résistance</em>", "<em>les Loups-Garous de Thiercelieux</em>").</p>
<p>La question de savoir si la partie de JdR est la représentation d'une œuvre préexistante doit être soulevée, car la conséquence d'une réponse négative est que la partie de JdR ne ferait naître aucun droit voisin d'artiste-interprète au profit de ses participants, ni d'ailleurs aucun droit d'auteur sur la mise en scène.</p>
<h2>Conséquences pour les parties diffusées en streaming et les démonstrations publiques</h2>
<p>Si la partie de JdR n'est pas une oeuvre ni la représentation d'une œuvre, alors aucun droit d'auteur ni droit voisin ne naît ni ne peut naître au profit de ses participants.</p>
<p>Les titulaires de droits sur les livres de JdR et scénarios ne sauraient contrôler, via le régime d'autorisation du droit de représentation tel que prévu par le Code de la propriété intellectuelle, la diffusion des parties filmées et des démonstrations publiques (payantes ou non), ni tenter d'exercer leur droit moral de respect de l’œuvre pour empêcher ce qu'ils pourraient percevoir comme une dénaturation de l'ambiance voulue.</p>
<p>Les participants ne pourraient s'opposer à la captation et la diffusion de la partie que sur le fondement de leur droit à l'image, et non sur celui du droit d'auteur. Éventuellement un droit d'auteur au profit du vidéaste naîtrait sur le vidéogramme lui-même en tant qu’œuvre, si celui-ci présente le caractère d'une œuvre originale (ce qui n'est pas nécessairement évident et sort du champ de cet article).</p>
<p>Qui plus est, les éditeurs auraient alors un fort intérêt à s'intéresser aux parties amateurs les plus populaires sur des plates-formes de streaming et en sortir des adaptations en JdR / scénarios papier si celles-ci ne sont pas déjà des parties basées sur des JdR préexistants.</p>
<p>En effet, faute pour la narration ainsi filmée de constituer une œuvre protégeable par le droit d'auteur, elle constituerait simplement une idée <ins>de libre parcours</ins>, qui permettrait à tout tiers de l'adapter en JdR sans avoir à demander aucune autorisation (modulo la licence de la vidéo elle-même). Que voilà une source de profits (et de litiges) potentielle !</p>
<p>Pour d'autres articles sur le droit d'auteur : <a href="https://blog.xyrop.com/post/2019/02/08/Comprendre-licences-JdR">un petit article sur les licences en JdR</a> et <a href="https://blog.xyrop.com/post/2019/04/05/%5BR%C3%A9flexion%5D-Publier-un-sc%C3%A9nario-pour-un-JdR-pr%C3%A9existant">comment publier un scénario pour un JDR tiers préexistant</a>.</p>https://blog.xyrop.com/post/2019/01/09/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-non-applicable-JdR#comment-formhttps://blog.xyrop.com/feed/atom/comments/58[Réflexion] Le droit d'auteur appliqué aux parties de JdR ?urn:md5:4008b14fc20c874b9cd1650f7db02a0d2018-12-31T17:30:00+01:002020-05-10T16:57:03+02:00Ludoxauteurcréationdroit d auteurMJpropriété intellectuelle<p>Où s'arrête la responsabilité de l'auteur, et où commence celle du meneur de jeu ?</p>
<p>D'une première réflexion sur cette organisation du partage de la création entre auteur et meneur de jeu, toute une problématique s'est rapidement manifestée quant à la notion de la partie de Jeu de rôle en tant que représentation d'une œuvre préexistante, ou bien en tant qu’œuvre éphémère de collaboration entre les divers participants.</p>
<p>Cette problématique soulève d'autres interrogations sur la manière dont le droit d'auteur peut appréhender l'objet "partie de Jeu de rôle", et les conséquences des différentes qualifications juridiques appliquées à une partie de Jeu de rôle.</p>
<p>Bref, un avertissement est de rigueur : ceci est un billet juridique assez trapu (que certains trouveront sans doute soporifique) basé sur l'état du droit (et du JdR) à la fin de l'année 2018, et qui ne sera probablement jamais mis à jour.</p> <p>La remarque que l'on entend habituellement sur le partage de création entre auteur et meneur de jeu est qu'une fois que l'auteur a publié son jeu, celui-ci ne lui appartient plus vraiment : le meneur de jeu et les joueurs vont s'approprier son univers et en faire quelque chose de différent.</p>
<p>Le jeu de rôle, comme l'a très bien fait remarquer Olivier Caïra dans "<em>Jouer avec l'Histoire</em>", est en effet basé sur plusieurs incertitudes croisées :</p>
<ul>
<li>chaque joueur ignore ce que l'auteur a écrit, ce que le MJ a préparé, ce que les autres joueurs ont ou vont imaginer ou faire, et ce que seront les résultats des dés ;</li>
</ul>
<ul>
<li>le meneur de jeu ignore ce que les joueurs ont ou vont imaginer ou faire, et ce que seront les résultats des dés.</li>
</ul>
<p>Sur cette base, l'auteur a réalisé une trame, posé des hypothèses, proposé des alternatives, mais c'est au cours de la partie et seulement celle-ci que ces incertitudes seront résolues et que la narration se déroulera comme elle doit se dérouler.</p>
<p>Cependant, cette question soulève d'autres questions plus délicates sur la nature du jeu de rôle, et notamment la nature de sa protection en tant qu’œuvre par le droit d'auteur (ici le droit d'auteur "à la française", mais compte tenu du nombre de pays signataires de la <a href="http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/berne/">Convention de Berne</a>, le raisonnement peut être élargi et étendu à la plupart des pays signataires sans trop de risque d'erreur).</p>
<h2>Rappels juridiques sur le droit d'auteur</h2>
<p>Premier rappel, une œuvre est protégeable par le droit d'auteur dès lors qu'il s'agit de la <ins>matérialisation</ins> (écrite, orale, musicale, etc.) <ins>originale</ins> d'une idée de son auteur.
Cette protection par le droit d'auteur se produit instantanément, dès la matérialisation de l’œuvre, sans qu'il soit besoin de l'enregistrer ou de la déposer. En revanche, il faudra le cas échéant être en mesure de prouver cette matérialisation par tous moyens. Le mérite artistique n'entre pas en ligne de compte (ce qui explique l'existence des colonnes de Buren), pas plus que la destination de l’œuvre (décorer un supermarché ou être exposée dans un musée), ou bien son caractère durable ou éphémère.</p>
<p>En ce qui concerne l'originalité, il faut également se rappeler que les idées sont de libre parcours :<strong><ins>SPOILER</ins></strong> tant Anthony Horowitz que Joan K. Rowling ont eu l'idée d'un gamin maltraité dans sa famille, dont la tante finit par gonfler et s'envoler, découvrant une école étrange au nord de l'Angleterre, où on apprend la sorcellerie, où les tableaux bougent tous seuls, où les fantômes semblent se mouvoir librement, où l'un des professeurs est un loup-garou, et un autre est secrètement l'antagoniste du héros, et les élèves s'affrontent pour récupérer une coupe magique - mais <strong><ins>FIN DU SPOILER</ins></strong> la matérialisation pratique de leur idée commune sous la forme d'ouvrages littéraires est très différente, de sorte que l’œuvre de Joan K. Rowling est très certainement protégée par le droit d'auteur et ne pourra très probablement pas être considérée comme une reproduction servile sans autorisation (c'est-à-dire un plagiat) des (excellents) romans d'Anthony Horowitz.</p>
<p>C'est donc l'originalité de la matérialisation qui est prise en compte, et qui explique pourquoi on peut trouver sur le marché des jeux de rôle aux thématiques très proches comme <a href="http://www.legrog.org/jeux/predateurs/predateurs-fr" hreflang="fr">Prédateurs de Flamberge</a> et <a href="http://www.legrog.org/jeux/vampire-la-mascarade" hreflang="fr">Vampire de White Wolf</a> sans pour autant considérer que Mark Rein•Hagen s'est livré à un plagiat portant atteinte aux droits des auteurs et éditeur de Prédateurs.</p>
<p>Deuxième rappel, le Code de la propriété intellectuelle distingue entre droits patrimoniaux et droits moraux applicables à une œuvre, dès lors que celle-ci est protégeable.</p>
<p>Les <strong>droits patrimoniaux</strong> sont les droits de reproduction, représentation, modification, traduction, adaptation, arrangement, et exploitation (comprendre distribution). Ils sont qualifiés de patrimoniaux parce que leur exploitation par leur titulaire (l'auteur principalement, mais s'il les a cédés, cela peut-être l'éditeur) aboutit habituellement à un avantage lucratif. Ils sont librement cessibles par l'auteur, qui a toute latitude pour organiser leur cession ou concession, via l'établissement de contrats ou de licences d'usage.
Lorsqu'un auteur écrit un ouvrage pour un éditeur, il cède habituellement ses droits patrimoniaux à cet éditeur en échange d'une contrepartie financière déterminée par contrat. L'éditeur devient dès lors <ins>titulaire</ins> des droits patrimoniaux (mais l'auteur reste auteur et titulaire des droits moraux, voir ci-après) sur l’œuvre.</p>
<p>Les <strong>droits moraux</strong> sont le droit au nom et à la qualité d'auteur (le fait <ins>pour une personne physique</ins> de pouvoir dire qu'elle est auteur), le droit de divulgation (le droit de révéler son œuvre au public), le droit au respect de l'intégrité de l’œuvre (le droit de s'opposer à un acte d'exploitation de l’œuvre qui la dénaturerait, qui la détruirait ou qui attenterait d'une manière ou d'une autre au respect de l'auteur, de son honneur, de sa réputation ou de ses intentions en divulguant l’œuvre - par exemple à l'exploitation de l’œuvre à des fins pornographiques), et le droit de retrait de l’œuvre (sous réserve de dédommager des tiers qui pourraient être lésés, c'est le fait de pouvoir revenir sur sa décision de divulgation de l’œuvre). En France, ces droits moraux sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles (ça explique pourquoi les éditeurs titulaires des droits patrimoniaux sont encore souvent obligés de dire qui est l'auteur des JdR qu'ils publient).</p>
<p>Un livre de jeu de rôle, un scénario, un groupe de scénario écrits, qu'ils soient publiés professionnellement ou non, sont - dès lors qu'ils sont matérialisés et originaux - protégeables par le droit d'auteur et constituent des œuvres littéraires et artistiques. J'ouvre immédiatement une parenthèse pour soulever le fait que les mécaniques des règles (principes de jeu, procédures de lancers de dés, etc.) ne sont pas protégeables par le droit d'auteur, mais que leur matérialisation sous forme écrite l'est. C'est aussi ce qui permet la tendance "Old-school revival" et les ouvrages du genre OSRIC, dont la teneur est particulièrement similaire à celle des anciens ouvrages de Donjons & Dragons, mais dont aucun texte (i.e. la matérialisation des règles sous forme écrite) n'est repris à l'identique : il ne s'agit pas d'une reproduction servile, ni d'une œuvre dérivée, mais d’œuvres purement originales protégeables et protégées par le droit d'auteur malgré des mécaniques de jeu très similaires.</p>
<p>Ceci étant posé, d'autres notions seront probablement abordées dans le cadre de cet article, et il convient de les rappeler :
Une œuvre peut avoir plusieurs titulaires de droits et plusieurs auteurs, et être elle-même composée de plusieurs œuvres (qui peuvent elles-mêmes avoir plusieurs titulaires) :</p>
<ul>
<li>l’œuvre composée de plusieurs autres œuvres est une <strong>œuvre composite</strong>. L'article L. 113-2, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle la définit comme "<em>l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière</em>". L'incorporation vise plutôt le cas où cette œuvre préexistante est intégrée totalement, et moins le cas où seules des parties préexistantes sont intégrées dans l’œuvre nouvelle (ce qui relèverait plutôt de la notion d'<strong>œuvre dérivée</strong> au sens de l'article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle). Pour approfondir la question, voir CA Paris, 1e ch., 10 mars 1970, D. 1971, p. 114, note P. L., mais également CA Versailles, ch. réunies, 18 mars 1992, RIDA 4/1998, p. 278 où une œuvre est qualifiée à la fois de composite et de dérivée ;</li>
</ul>
<ul>
<li>l’<strong>œuvre de collaboration</strong> est une œuvre créée par plusieurs individus à la fois, faisant acte de co-création d'une manière habituellement concomitante (enfin plus ou moins), où chaque contribution de chaque auteur peut être identifiée - et attribuée précisément à chaque auteur. Les auteurs d'une œuvre de collaboration sont co-titulaires des droits sur celle-ci, et pour exercer des actes de disposition (par exemple une cession de droits patrimoniaux à un éditeur), la totalité des auteurs doit être unanimement en accord avec cette cession. Si l'un des auteurs n'est pas d'accord, sa contribution personnelle peut être retirée de l’œuvre avant cession des droits patrimoniaux afin de permettre aux autres auteurs de céder les leurs. Un livre de Jeu de rôle est souvent une œuvre de collaboration, qui s'occupant des illustrations, qui s'occupant du chapitre relatif aux maladies et aux poisons, qui travaillant sur la maquette visuelle, etc.</li>
</ul>
<ul>
<li>l’<strong>œuvre collective</strong> est une œuvre crée par plusieurs individus à la fois, faisant acte de co-création d'une manière habituellement concomitante, mais où les contributions respectives des auteurs ne peuvent plus être identifiées dans l’œuvre (sachant que les formes émergentes de travaux collaboratifs tendent à remettre en question cette définition, que le rédacteur de ces lignes considère plutôt comme une œuvre plurale dont les contributions respectives des coauteurs ne peuvent pas être retirées / extraites / supprimées). Dans cette situation, est habituellement titulaire des droits patrimoniaux sur l’œuvre collective la personne (souvent morale) au nom et à l'initiative de laquelle cette œuvre collective a été divulguée (exemples d’œuvres collectives : une sculpture d'argile réalisée à plusieurs mains, un slogan publicitaire élaboré par une agence de publicité).</li>
</ul>
<h3>Au voisinage du droit d'auteur</h3>
<p>Une autre notion sera abordée dans cet article, à savoir celle des <strong>droits voisins</strong> de ceux de l'auteur. Ces droits voisins sont les droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes, vidéogrammes et bases de données. Nous parlerons surtout dans cet article des droits voisins des artistes-interprètes, qui jouissent de droits sur leur travail de représentation d'une œuvre préexistante.</p>
<p>Ces droits voisins de l'artiste-interprète sont également démembrables en droits :</p>
<ul>
<li><strong>patrimoniaux</strong>, correspondant au fait de pouvoir exploiter commercialement l'interprétation de l’œuvre ainsi que la fixation de celle-ci, et donc en tirer profit. Les exploitations secondaires de l'interprétation (par exemple par diffusion d'une captation d'image de celle-ci) donnent habituellement lieu à rémunération de l'interprète. Par ailleurs, le fait d'interpréter une œuvre équivaut techniquement à l'exercice du droit patrimonial de représentation dont l'auteur de l’œuvre est titulaire - et aboutit habituellement à ce que l'auteur soit rémunéré en contrepartie de cette concession non-exclusive de son droit de représentation à l'interprète qui exerce ce droit de représentation en interprétant cette œuvre.</li>
</ul>
<ul>
<li><strong>moraux</strong>, correspondant globalement au droit au nom et au respect de l'artiste, de sa qualité et de son interprétation.</li>
</ul>
<h2>Qualification juridique d'une partie de Jeu de rôle</h2>
<p>Reste la partie de JdR en elle-même : est-elle une œuvre ? Est-elle l'exercice d'un droit patrimonial lié à l’œuvre ? Est-elle plus que cela ?</p>
<p>Coralie David explique dans son article "<a href="https://journals.openedition.org/sdj/682">Le jeu de rôle sur table : une forme littéraire intercréative de la fiction ?</a>" que "<em>Le JdR est l’expérience collective et orale d’une création et d’une réception de la fiction par le langage</em>" : on ne saurait mieux définir le JdR comme activité créatrice d'une oeuvre orale, au même titre qu'une poésie qui aurait été inventée et déclamée spontanément par son auteur à un cercle d'auditeurs restreint.</p>
<p>Un livre de jeu de rôle (un livre de règles, un livre relatif à l'univers, etc.) et un recueil de scénarios de jeu de rôle sont faits pour être lus, mais ont essentiellement vocation à être joués. Le jeu de rôle se rapproche dans une certaine mesure du jeu de société proprement dit, façon "Monopoly", qui est également une œuvre littéraire et artistique protégeable et protégée par le droit d'auteur, par son support matérialisé.</p>
<p>Il en diffère cependant parce que ce support n'est nullement un prérequis obligatoire, et également du point de vue de la résultante de l'exécution du jeu :</p>
<ul>
<li>le résultat d'une partie de jeu de société en général est un bon moment d'amusement entre participants (du moins peut-on l'espérer) ;</li>
</ul>
<ul>
<li>le résultat d'une partie de jeu de rôle est, outre un bon moment d'amusement entre les participants, l'élaboration progressive et la matérialisation orale d'une narration, via l'interprétation de leurs personnages par les joueurs, sur la trame suggérée plus ou moins fortement par l'auteur. Bref, cela ressemble fortement à l'acte de formalisation de plusieurs idées créatives issues de l'esprit des joueurs.</li>
</ul>
<p>Afin d'aboutir à une qualification juridique, il semble utile d'établir un parallèle avec une pièce de théâtre, qui peut certes être lue, mais qui a vocation à donner lieu à une interprétation vivante et éphémère par les comédiens, sous la direction artistique d'un metteur en scène, qui est l'exercice du droit patrimonial de représentation de la pièce de théâtre.</p>
<p>La représentation est définie par l'article L122-2 du Code de la propriété intellectuelle de la manière suivante : "<em>La représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque, et notamment : 1° Par récitation publique, exécution lyrique, représentation dramatique, présentation publique, projection publique et transmission dans un lieu public de l’œuvre télédiffusée</em> <a href="https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/..." title="...">...</a>"</p>
<p>Transposée au JdR, la "représentation" d'un livre et/ou d'un scénario de jeu de rôle est la partie elle-même, au cours de laquelle l’œuvre préexistante qu'est le scénario se voit interprétée, réinterprétée, voire fortement altérée par les différents participants autour de la table de jeu.</p>
<p>Le public de cette représentation est constitué :</p>
<ul>
<li>au minimum des différents participants, chaque joueur étant public du MJ et des autres joueurs, le MJ étant également public des improvisations et initiatives des joueurs ;</li>
</ul>
<ul>
<li>des éventuels spectateurs présents autour de la table dans le cadre d'une partie se déroulant dans un lieu public, la narration partagée crée au cours de la partie n'étant pas intelligible seulement par les participants mais également par les tiers présents ;</li>
</ul>
<ul>
<li>d'éventuels spectateurs de la télédiffusion d'une partie filmée.</li>
</ul>
<p>La partie de jeu de rôle proprement dite pourrait donc recevoir les qualifications juridiques suivantes :</p>
<blockquote><p><strong>1.</strong> si la partie se base sur un jeu ou un scénario préexistant, la représentation d'une œuvre préexistante (l'ouvrage conçu par l'auteur de JdR) par exercice du droit patrimonial de représentation, faisant naître une œuvre dérivée ainsi que des droits voisins d'artistes-interprètes au profit des participants ;</p></blockquote>
<blockquote><p><strong>2.</strong> une nouvelle œuvre qui pourrait (1) être basée sur la mise en scène partagée (résultant principalement de l'activité créatrice du meneur de jeu mais également, dans une certaine part, de l'activité des autres participants) de l’œuvre préexistante, (2) ou bien être également constituée de la performance d'artiste créative, éphémère et unique de ses participants, comparable à la fiction créée de manière spontanée et immédiate dans le théâtre d'improvisation (surtout lorsque la narration sort du cadre prévu par le scénario), (3) tout en incorporant potentiellement des parties d’une œuvre préexistante protégées par le droit d'auteur, donc constituant une œuvre dérivée.</p></blockquote>
<p>Analysons plus en détail chacune de ces qualifications possibles.</p>
<h2>Conséquences de la qualification de la partie de JdR comme exercice du droit de représentation</h2>
<h3>L'autorisation des auteurs et titulaires de droits</h3>
<p>L'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que "<em>toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle de l’œuvre faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.</em>"</p>
<p>Si en effet la partie de JdR est l'exercice du droit de représentation d'une œuvre antérieure préexistante, alors il est en principe nécessaire que les participants d'une table de JdR se préparant à jouer le scénario antérieurement divulgué disposent de l'autorisation du titulaire des droits patrimoniaux sur ledit scénario.</p>
<p>Toutefois, l'article L. 122-5 du Code précité pose une exception à ce principe : "<em>Lorsque l’œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : 1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ;</em>"</p>
<p>Cette qualification permet donc encore à un groupe d'amis proches (ou à une famille) de se réunir autour d'une table de jeu et de faire ensemble une partie de JdR.</p>
<p>La notion de cercle de famille est essentiellement jurisprudentielle, notamment appliquée aux différentes décisions sur l'exception de copie privée des vidéogrammes (mais bien entendu extensible au cas de l'interprétation <em>in vivo</em> d'une œuvre théâtrale), et interprétée très restrictivement par les tribunaux comme n'incluant que les personnes parentes ou amies très proches, unies de façon habituelle par des liens familiaux ou d’intimité.</p>
<p>Selon cette acception, les parties de JdR du dimanche entre amis à la maison sont sauvées : elles ne requièrent pas d'autorisation préalable des auteurs du JdR et scénario. Ouf !</p>
<p>Mais qu'en est-il du cas des parties réalisées en clubs ? Des démonstrations dans les manifestations publiques ? Des vidéos et podcasts de parties se multipliant dorénavant sur les plates-formes de <em>streaming</em> ?</p>
<p>Par définition, les clubs de JdR réunissent des personnes liées par une communauté d'intérêts. Les membres de clubs de JdR ne sont pas des personnes parentes ou des amis très proches unis de façon habituelle par des liens familiaux ou d’intimité - même si de tels liens d'amitié et d'intimité peuvent fréquemment peut naître autour de la table de JdR. En outre, les clubs réclament souvent une cotisation, participation ou adhésion à une association, ce qui vient contredire le critère de gratuité - même si les parties elles-mêmes ne sont pas payantes de manière individuelle.</p>
<p>Les parties de démonstration dans les manifestations ouvertes au public (telles que les conventions) sont par nature... publiques, ce qui est nécessairement exclusif d'une représentation dans un cadre privé. En outre, ces manifestations font souvent payer un droit d'entrée, ce qui introduit une notion d'exploitation économique de la représentation exclusive d'un cadre familial ou amical.</p>
<p>Par conséquent, ces parties en club et ces démonstrations dans le cadre de manifestations ouvertes au grand public <ins>ne relèvent pas</ins> de l'exception de représentation privée et gratuite dans le cercle de la famille.</p>
<p>Les vidéos filmées de parties de JdR correspondent très exactement à l'exercice du droit de représentation par <em>communication de l’œuvre au public</em> <a href="https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/..." title="...">...</a> <em> 2° Par télédiffusion. La télédiffusion s'entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données et de messages de toute nature.</em> (article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle).</p>
<p>Les télédiffusions de ces parties sur les plates-formes de <em>streaming</em> se fait à destination du public, et génèrent également une rémunération par les gestionnaires de plates-formes - ce qui exclut également ici qu'il s'agisse d'une représentation privée et gratuite dans le cercle de la famille.</p>
<p>Or, selon l'article L. 131-2, alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle, "<em>les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle (...) doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution.</em>"</p>
<p>Cela signifie que, conformément aux règles du droit d'auteur, les parties de JdR en club, en convention, ou diffusées sur des plates-formes de <em>streaming</em>, dès lors qu'on pourrait les qualifier d'exercice du droit de représentation d'une ou plusieurs œuvres préexistantes, requièrent normalement un accord des auteurs des œuvres préexistantes, accord qui doit nécessairement intervenir par écrit <em>ad validitatem</em> (c'est-à-dire que l'écrit est une condition nécessaire mais pas suffisante de la validité de cet accord).</p>
<p>Peu d'auteurs de JdR et/ou de scénarios pensent à accorder une telle autorisation écrite.</p>
<p>La <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Licence_ludique_libre" hreflang="fr">licence ludique libre</a> <a href="http://www.opengamingfoundation.org/ogl.html" hreflang="en">Open Gaming License 0.1a</a> constitue une exception notable, car elle prévoit une autorisation générale de "distribution" pour tout bénéficiaire de contenu sous ladite licence, la définition de la distribution dans le cadre de cette licence recouvrant des actes relevant de l'exercice du droit de représentation selon l'article L. 122-2 précité, assortie néanmoins de conditions telles que le fait de faire figurer les notices correctes d'attribution des auteurs et titulaires des droits des œuvres préexistantes, et de conserver la même licence.</p>
<p>Pour autant, cette licence OGL 0.1a a été conçue d'abord pour régir les œuvres écrites directement dérivées des œuvres préexistantes sous cette licence, ce qui explique son caractère inadapté à de telles situations : peut-on raisonnablement attendre d'un MJ qui maîtrise une partie filmée ou une partie en convention d'ouvrir soudainement une parenthèse pour définir dans sa description ce qui relève de la licence ludique libre et ce qui relève de l'identité du produit ("<em>product identity</em>", qui est exploitable en conjonction avec le contenu ouvert donc peut être représenté par le MJ, mais non soumis aux termes de la licence libre) selon la licence OGL 0.1a ?</p>
<h3>La naissance de droits voisins pour les participants</h3>
<p>Autre conséquence de la qualification de la partie de JdR comme exercice du droit de représentation : elle fait naître des droits voisins d'artistes-interprètes au profit des participants, puisque ceux-ci sont les interprètes des personnages s'intégrant dans la narration résultant de la représentation vivante de l’œuvre écrite préexistante.</p>
<p>Cette qualification des joueurs participants comme artistes-interprètes est encore renforcée par le recours éventuels à des personnages pré-tirés conçus par l'auteur du JdR et/ou du scénario, puisque l'apport créatif des joueurs participants est conditionné par les aspects, caractéristiques et description de leur personnage d'ores et déjà défini par l'auteur.</p>
<p>Selon cette acception, les joueurs participants disposeraient donc de droits patrimoniaux dits "voisins" sur leur interprétation de leur personnage, d'une durée de 50 ans "<em>à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de l'interprétation</em>" ou, si "<em>durant cette période, une fixation de l'interprétation dans un vidéogramme ou un phonogramme fait l'objet <a href="https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/..." title="...">...</a> d'une communication au public</em>", la durée est de 50 ans après ces faits pour un vidéogramme, et 70 ans après ces faits pour un phonogramme (article L.211-4 du Code de la propriété intellectuelle).</p>
<p>La reconnaissance de tels droits voisins pour les participants d'une partie de JdR ouvrirait alors la possibilité pour ces "joueurs-artistes-interprètes" de faire valoir un droit à une rémunération auprès des exploitants (plates-formes de <em>streaming</em> & <em>podcasts</em>) des vidéogrammes et phonogrammes ayant capturé l'interprétation de leur personnage (bien entendu hors des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;?idArticle=LEGIARTI000032859751&cidTexte=LEGITEXT000006069414&dateTexte=20181230" hreflang="fr">cas d'exclusion L. 211-3 du Code</a> dont l'énumération serait ici fastidieuse).</p>
<h2>Conséquences de la qualification de la partie de JdR comme œuvre nouvelle</h2>
<h3>La mise en scène partagée de l’œuvre préexistante</h3>
<p>La représentation fait naître, sur la représentation spécifique de l’œuvre, des droits d'auteur au profit du metteur en scène ainsi que des droits voisins des artistes-interprètes au profit des comédiens.</p>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichIDCCArticle.do;jsessionid=25C7366AAE431AD58450D5CA0DB71276.tpdila17v_1?cidTexte=KALITEXT000034449382&idArticle=KALIARTI000034449385&dateTexte=20170420&categorieLien=cid">L'avenant du 10 novembre 2016 relatif aux dispositions du titre VI « Metteur en scène de théâtre » de l'annexe I de la convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant du 3 février 2012</a> présente de manière très claire l'origine de son droit d'auteur (qui n'est pas un droit voisin) pour le metteur en scène :</p>
<blockquote><p><em>Le metteur en scène de théâtre est celui qui, par son art personnel et sa créativité, apporte à l'œuvre écrite par l'auteur, une vie scénique qui en fait ressortir les qualités sans jamais en trahir l'esprit, son rôle s'inscrivant sur deux plans distincts :</em></p>
<p>
<em>- celui de la création intellectuelle correspondant à sa conception artistique de la mise en scène et qui lui confère les droits de propriété littéraire et artistique en sa qualité d'auteur de la mise en scène ;</em></p>
<p>
<em>- celui de l'exécution matérielle de cette conception dans le cadre de laquelle il exerce sous l'autorité du producteur et dans le strict respect du droit des autres auteurs, et particulièrement celui de l'auteur de l'œuvre initiale écrite ou composée, le choix des artistes et de tous les intervenants créatifs artistiques et techniques dont il prépare, coordonne et dirige le travail.</em></p></blockquote>
<p>Via l'interprétation des PNJ, via les décisions sur l'enchaînement des situations, via ce qu'il apporte en termes d'ambiance, le MJ ressemble fortement à un metteur en scène : il décide du jeu d'acteur requis pour l'interprétation des PNJ, il décide de l'ambiance lumineuse, des décorations de la table, de l'<a href="https://blog.xyrop.com/post/Illustration-musicale-en-JdR">illustration musicale</a> et des illustrations picturales de la partie - en s'aidant le cas échéant des indications de l'auteur, mais avec néanmoins une très grande liberté dans cette mise en scène.</p>
<p>Il faut rappeler néanmoins que cette distinction entre le droit d'auteur du metteur en scène et le droit voisin de l'artiste-interprète devient assez floue si on tente de qualifier les activités des joueurs participant à une partie de Jeu de rôle.</p>
<p>En effet, ceux-ci ne suivent pas aveuglément un script déjà totalement écrit (pour autant qu'ils le suivent !), ni des indications particulières du MJ/metteur en scène.</p>
<p>Via l'interprétation de son personnage, sur laquelle il a un contrôle presque absolu, chaque joueur a un impact potentiellement très fort sur le résultat final de la performance qu'est la partie de JdR, et peut ainsi grandement altérer la trame initialement imaginée par l'auteur.</p>
<p>Chaque participant est donc à la fois comédien et un peu metteur en scène, en plus d'être public actif où "<em>la fiction est assimilée alors même qu’elle est créée, le phénomène de réception </em><a href="https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/venant" title="venant">venant</a><em> nourrir celui de la création.</em>" (<a href="https://journals.openedition.org/sdj/682">Coralie David, Le jeu de rôle sur table : une forme littéraire intercréative de la fiction ?</a>)</p>
<p>La mise en scène nouvelle est donc une œuvre de collaboration, "<em>propriété commune des coauteurs</em>" qui "<em>doivent exercer leurs droits d'un commun accord</em>" selon l'article L. 113-4 du Code de la propriété intellectuelle, et qui résulte des activités créatrices de mise en scène combinées du meneur de jeu et des joueurs.</p>
<h3>Une performance d'artiste</h3>
<p>Cependant, un autre parallèle est également envisageable : la partie de JdR a pour objet la création d'une narration éphémère, qui n'a pas vocation à être rejouée plusieurs fois par les mêmes participants avec les mêmes personnages.
Les joueurs apportent en outre une spontanéité dans leurs réactions, prises de décision, dialogues, et orientations de la trame.
Enfin, les <a href="https://blog.xyrop.com/post/%5BTactique-de-ma%C3%AEtrise%5D-Alea-incertitude-information-jet2de">lancers de dés apportent réellement une incertitude</a> quant au déroulement effectif de l'intrigue, obligeant la totalité des participants à improviser les événements conséquence de ces aléas.</p>
<p>Dans ces conditions, la partie de JdR se rapproche considérablement des performances d'artistes créatives qui sont par nature toujours uniques et éphémères (bien qu'elles puissent faire l'objet d'une captation via un vidéogramme et d'une rediffusion) de manière comparable à la fiction créée de manière spontanée et immédiate dans le théâtre d'improvisation (surtout lorsque la narration sort du cadre prévu par le scénario).</p>
<p>Ces performances d'artistes sont des œuvres par elles-mêmes, résultant de la combinaison des apports créatifs et talents des différents participants.</p>
<p>Une partie de JdR pourrait dès lors être qualifiée de performance collective d'artistes, donc d’œuvre plurale. Il resterait à trancher la nature de l’œuvre qu'est cette performance pour connaître le titulaire des droits sur celle-ci.</p>
<p>En effet, la partie de JdR comme performance ressemble à une œuvre de collaboration dans la mesure où chaque contribution de chaque participant peut être identifiée et attribuée précisément à chaque auteur ( "<em>moi, j'ai dit ça, toi, tu as fait ça</em>").</p>
<p>Cependant, si la partie de JdR est une œuvre de collaboration, en cas de désaccord d'un des participants avec tous les autres quant à l'exercice des droits patrimoniaux sur la partie , il n'est pas possible de résoudre ce désaccord via la suppression de l'apport créatif de ce participant en raison de la nature même d’œuvre éphémère qu'est la partie de JdR.</p>
<p>C'est la raison pour laquelle il semble que la qualification d’œuvre collective soit plus appropriée pour une partie de JdR, les contributions respectives des co-auteurs pouvant certes être distinguées, mais ne pouvant plus être retirées de l’œuvre sans qu'elle cesse d'être l’œuvre ni la dénaturer.</p>
<p>Selon cette qualification, la personne au nom et à l'initiative de laquelle cette œuvre collective qu'est la partie de JdR a été divulguée est titulaire des droits patrimoniaux et peut seule décider des modalités d'exploitation de l’œuvre.</p>
<h3>Une œuvre composite</h3>
<p>En pratique, la partie de JdR, lorsqu'elle n'est pas totalement improvisée par le MJ, ni mise en œuvre la base d'une trame qu'il a lui-même rédigée, mais basée sur une œuvre tierce préexistante, vient nécessairement incorporer des parties de cette œuvre préexistante, sans intervention du titulaire des droits de l'auteur de l’œuvre préexistante. Il s'agit donc d'une œuvre composite au sens de l'article L 113-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle : "<em>Est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière.</em>"</p>
<p>Mettons immédiatement de côté le cas où la partie de JdR consiste par exemple à jouer l'exploration de la planète LV-426, ce qui motive le MJ à intégrer, à titre d'illustration musicale, des morceaux préexistants de l'album des bandes originales d'Alien de Jerry Goldsmith ou Aliens de James Horner.</p>
<p>Ici, le cas étudié est bien la partie de JdR en tant que création d'une narration commune et d'une interprétation de personnages, dérivées d'une trame, de personnage non-joueurs déjà décrits et d'indications rassemblés dans un livre de JdR et un scénario conçus exprès pour permettre le déroulement d'une ou plusieurs parties de JdR.</p>
<p>La première phrase de l'article L. 112-3 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : "<em>Les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale.</em>" Également, "<em>L’œuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l’œuvre préexistante.</em>" (article L. 113-4 du CPI).</p>
<p>Ce n'est donc pas parce que la création qu'est la partie de JdR pourrait être une œuvre dérivée qu'elle est pour autant dépourvue de la protection du droit d'auteur. En revanche, cette création <strong>ne doit pas se faire au préjudice des droits de l'auteur de l’œuvre originale</strong> : l'autorisation de l'auteur de l’œuvre originale est nécessaire pour créer une œuvre dérivée.</p>
<p>Évidemment, cette autorisation est implicite quand un auteur fixe ses considérations dans un ouvrage de JdR, avec l'espoir que celui-ci soit lu et joué.</p>
<p>Toutefois, comme rappelé <em>supra</em>, "<em>les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d'exécution</em>" (Article L 131-2 du CPI alinéa 1) et "<em>les contrats par lesquels sont transmis des droits d'auteur doivent être constatés par écrit</em>" (Article L 131-2 du CPI alinéa 2).</p>
<p>Par conséquent, si la partie de JdR est qualifiée d’œuvre composite dérivée de l’œuvre préexistante qu'est l'ouvrage de JdR (livre de JdR ou scénario), alors son exploitation au-delà du cercle de famille de l'article L. 122-5 du CPI requiert l'accord écrit de l'auteur de l’œuvre préexistante, accord qui ne peut pas être présumé.</p>
<p>La sanction de cette absence d'autorisation, évoquée <em>supra</em>, est plutôt rude : "<em>Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque</em>" (Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle).</p>
<p>Autrement dit, si cette qualification est retenue, l'autorisation écrite expresse du titulaire des droits de l'auteur sur un ouvrage de JdR particulier est indispensable pour toute divulgation au public de l’œuvre composite qu'est la partie de JdR correspondant à l'adaptation vivante de l’œuvre préexistante, que cette divulgation soit faite dans le cadre d'une manifestation publique (convention, démonstration, ou autre) ou bien par la diffusion d'un vidéogramme ou phonogramme via une plate-forme de <em>streaming</em>.</p>
<p>Passer outre une telle absence d'autorisation constitue une prise de risque car l'exercice d'un droit de l'auteur sans en être titulaire ni disposer de son autorisation est une contrefaçon, et la contrefaçon est un délit (articles L.335 et suivants du Code de la propriété intellectuelle).</p>
<p>Il est important de garder à l'esprit que, comme rappelé <em>supra</em>, les licences ludiques libres et certaines licences Creative Commons constituent de telles autorisations écrites préalables - rendant ainsi licites les éventuelles parties de JdR, œuvres composites dérivées de ces ouvrages préalables.</p>
<h2>La partie de JdR et le respect des droits moraux de l'auteur</h2>
<p>De plus en plus souvent, les auteurs de JdR formulent des notes d'intention, des remarques à l'égard des lecteurs, des explications sur la manière dont la partie devrait se dérouler, sur l'ambiance qui devrait émerger au cours de la partie.</p>
<p>Certains s'autorisent à insister, par exemple, sur le fait que leur jeu est sérieux et que, si les personnages-joueurs ont des pouvoirs, les parties ne doivent pas tourner à une foire d'empoigne façon comic-books des années 50, mais à des situations dramatiques pleines de pathos.</p>
<p>Plus prosaïquement, des auteurs donnent aussi des indications sur la manière dont certains PNJ devraient être interprétés par le MJ, leurs maniérismes, leur accent, etc.</p>
<p>Bref, certains auteurs de JdR indiquent ce qui, selon eux, est <ins>une</ins>, voire <ins><strong>la</strong></ins> "bonne manière de jouer" à leur jeu.</p>
<p>Dans un jeu comme le Monopoly, cela ne poserait évidemment aucune difficulté : il s'agirait alors d'un rappel de la règle qui aboutit à un amusement optimisé selon l'auteur.</p>
<p>Mais comme évoqué plus haut, le Jeu de Rôle n'est pas qu'un jeu de société façon Monopoly. C'est un jeu dans lequel les participants vont fournir un apport créatif original pour faire naître une nouvelle interprétation de l’œuvre préexistante (l'ouvrage de JdR de l'auteur) et une œuvre composite reprenant des parties de l'ouvrage de JdR d'origine.</p>
<p>Ainsi, en posant des indications sur une "bonne manière de jouer" à l'intérieur de son ouvrage, l'auteur de JdR fixe tout simplement des conditions pour l'exercice du droit de représentation de l’œuvre, et donc, par extension, vient limiter :</p>
<ul>
<li>les possibilités de mise en scène de son jeu ou de son scénario par les participants à la partie - exactement de la même manière que des didascalies pour les pièces de théâtre, qui font partie intégrante de la manière dont son œuvre <strong>doit</strong> être mise en scène selon le dramaturge.</li>
</ul>
<ul>
<li>le champ des possibles des œuvres composites pouvant résulter de l'adaptation et de la transformation de son œuvre originelle en une œuvre dérivée (hors le cas particulier de la parodie).</li>
</ul>
<p>L'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose : "<em> L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre</em>".</p>
<p>Dès lors que l'auteur a écrit quelle était, selon lui, "la bonne manière" de jouer à son JdR, il pourrait arguer que la divulgation au public (par démonstration dans une convention ou par télédiffusion) d'une représentation de son œuvre (ou d'une œuvre composite) qui ne respecterait pas cette "bonne manière de jouer" constitue une <strong>dénaturation</strong> de son œuvre originelle, et donc une atteinte à son droit moral.</p>
<h2>Conclusions</h2>
<h3>Conclusion pour les éditeurs de JdR</h3>
<p>Peut-on imaginer qu'un éditeur de JdR ou qu'un auteur prétende réguler, sur l'un ou l'autre des fondements évoqués <em>supra</em>, des parties de démonstration en convention ou bien des diffusions de parties filmées ?</p>
<p>Cela ne semble pas inconcevable, car il est dans l'intérêt des éditeurs de réguler la communication autour de leurs créations ludiques.
Un éditeur pourrait ainsi vouloir éviter qu'une partie filmée donne un exemple contraire à l'image que l'éditeur veut donner de son jeu, ou qu'un MJ fasse jouer en convention un scénario qui révèle des secrets essentiels de l'univers de jeu (ce qui risquerait de faire baisser l'appétence des acheteurs potentiels pour le livre d'univers contenant ces secrets).</p>
<p>La qualification de la partie de JdR par le droit d'auteur permet un tel contrôle <em>a priori</em> de la divulgation hors du cercle de famille des éléments importants de l’œuvre originelle via les représentations et œuvres dérivées, en obligeant les divulgateurs potentiels de la représentation ou de l’œuvre composite à obtenir une autorisation préalable.</p>
<p>Cependant, à n'en pas douter, l'encadrement strict de cette pratique aboutirait sans doute à un déficit d'image considérable pour l'éditeur concerné : le marché du JdR est un marché de niche dont les pratiquants ne sont pas assez nombreux.</p>
<p>Dès lors, seuls de très gros éditeurs comme Hasbro par exemple pourraient se permettre ce type d'intervention, en refusant par exemple son agrément à la diffusion de parties de Donjons & Dragons 5e édition abordant des thématiques sexuelles fortes, ou en refusant son autorisation à des scénarios de démonstration autres que ceux spécifiquement prévus par cet éditeur, ou encore en exigeant un niveau de qualité / d'expérience / charisme minimal pour le MJ.</p>
<h3>Conclusion pour les participants des parties de JdR divulguées au public</h3>
<p>Les différentes qualifications juridiques possibles d'une partie de JdR aboutissent au constat que des droits d'auteur (de nature tant morale que patrimoniale) et/ou des droits voisins naissent presque inévitablement au profit de ses participants dès la première matérialisation d'un apport créatif de leur part.</p>
<p>Corollaire de cette naissance de droits, la faculté de revendiquer le bénéfice de leur exploitation : il n'est pas inenvisageable pour un joueur d'une partie filmée d'exiger, selon la qualification juridique retenue, que la diffusion de cette partie respecte son droit voisin d'artiste-interprète, respecte l'exercice de son droit moral d'auteur (droit à voir son nom apposé sur le vidéogramme), voire, si ce ne s'agit pas d'une œuvre collective, que le vidéogramme ne soit pas du tout divulgué à moins qu'il ne lui soit versé une part de rémunération proportionnelle à son apport créatif sur la base des bénéfices d'exploitation du vidéogramme.</p>
<p>Sur la base de ces constats, la démarche qui semble émerger d'elle-même consiste, pour les organisateurs de parties filmées ou de parties de démonstration publiques, à prévoir une contractualisation (qui n'a pas besoin d'être très longue ni complexe et qui peut pour les parties filmées s'inscrire dans le cadre de la gestion du droit à l'image) entre les différents participants afin d'articuler les différents droits d'auteur et droits voisins qui naîtront dans le cadre de la partie.</p>
<p>On peut ainsi imaginer que les participants s'accordent pour céder, de manière exclusive ou non, leurs droits au MJ, à l'un des participants, ou à une association tierce dès avant la partie, afin que ce cessionnaire puisse se trouver seul titulaire des droits et en charge de leur exploitation (bien entendu en faisant attention de ne pas tomber dans le cas de l'article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que "<em>La cession globale des œuvres futures est nulle</em>").</p>
<p>Évidemment, de nouvelles questions émergent : Comment rédiger de tels accords ? Est-ce que les licences Creative Commons ou de Youtube peuvent s'appliquer valablement à des parties filmées basées sur des contenus eux-mêmes sous licence ludique libre OGL 0.1a ? Faudrait-il prévoir une licence dans tous les ouvrages de JdR ? Qu'y faire figurer ?</p>
<p>Ces nouvelles questions dépassent très largement l'objet du présent article, qui n'est après tout qu'une réflexion juridique sur les qualifications juridiques possibles d'une partie de JdR.</p>
<p>Dans l'hypothèse où vous m'auriez lu jusqu'au bout je me permets de vous adresser mes félicitations pour avoir supporté une telle quantité de prose amphigourique et assommante.</p>
<p>MISE À JOUR : <a href="https://blog.xyrop.com/index.php/post/2019/01/09/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-non-applicable-JdR">Et si aucune qualification juridique ne peut être retenue, que se passe-t-il ? C'est l'objet de ce nouveau billet</a>.</p>https://blog.xyrop.com/post/2018/12/31/%5BR%C3%A9flexion%5D-Droit-d-auteur-JdR#comment-formhttps://blog.xyrop.com/feed/atom/comments/59